conseils

Cybersurveillance : mon boss peut-il consulter mon historique internet ?

Notre ordinateur de bureau n’est plus qu’un simple outil de travail. Avec l’accès quasi illimité à tous les sites web, la tentation de surfer à des fins personnelles est très grande. Mais en avons-nous le droit ? Et notre employeur a-t-il le droit de contrôler nos connexions internet ? Décryptage.


5 min
11 avril 2024par Léa François

Prendre des billets de train, faire du shopping en ligne ou trainer sur Insta… J’avoue, ça m’est déjà arrivé au taf. Et que celui ou celle qui ne l’a jamais fait me jette la première pierre ! D’ailleurs, je le sais de source sûre : je suis loin d’être la seule.

Les Français‧es passent en moyenne 1h15 par jour au boulot à trainer sur des sites “non professionnels”, cafte une étude de l'éditeur de logiciels Olféo publiée en 2016. Au total, ça fait quand même 6h15 de surf personnel par semaine, soit presque une journée hebdo. Notre utilisation d’internet au bureau serait à 58% pour un usage privé, ce qui représenterait une chute de productivité de 17,6%

Bon, c’est le moment où vous paniquez et où vous vous demandez : est-ce que mon boss a le droit de consulter mon historique internet ? Je ne vais pas faire durer le suspense : oui, il en a le droit. Mais à certaines conditions !

Big brother vous regarde

Étant donné que l’ordinateur ou le téléphone portable mis à disposition du salarié est un outil de travail dont l’utilisation est supposée être purement professionnelle, l’employeur a donc le droit de vérifier les connexions internet, de consulter les favoris ou encore d’analyser la volumétrie des connexions.

Le fait de contrôler les activités d’un salarié sur son ordi, ça a un nom : on parle de cybersurveillance. Oui, le mot fait peur et on se croirait un peu dans une série dystopique. Non, vous n’êtes pas dans Black Mirror, juste dans la réalité.

Mais alors concrètement, comment votre boss peut s’y prendre pour savoir ce que vous faites sur internet ?

  • déjà physiquement, en allant consulter votre historique de navigation, et ce même en votre absence (Cass. soc., 9-7-08, n°06-45800)
  • en configurant le routeur pour qu’il suive tous les sites web que vous visitez
  • grâce à des logiciels de traçabilité et d’analyse de l'utilisation d'Internet
  • en utilisant un logiciel de surveillance de bureau à distance
  • ou même en utilisant des key loggers, qui permettent d'enregistrer toutes les actions faites sur un ordi, mais ça c’est illégal

La rédaction vous conseille

Un droit illimité ?

Mais rassurez-vous, votre employeur n’est pas omnipotent et cette cybersurveillance doit avoir un cadre légal. Déjà, en vertu de la loyauté de la preuve, il n’a pas le droit de recourir à des dispositifs clandestins de contrôle de l’activité pour établir une faute.

Pour rester dans son bon droit, et comme le détaille ce site juridique, l’employeur doit respecter plusieurs règles :

1- il doit informer ses salariés au préalable s’il met en place un dispositif de contrôle de l’activité, et en justifier la finalité, dans son règlement intérieur ou via une charte informatique, une disposition fixée par l’article L. 1222-4 du Code du travail.

2- il doit aussi informer et consulter le CSE avant de le mettre en place

3- il doit faire une déclaration à la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) et prouver que la surveillance est justifiée

4- il doit respecter la règlementation du RGPD (Règlement général sur la protection des données) du 27 avril 2016 s’il collecte des informations personnelles des salarié‧es

Si l’employeur ne respecte pas ce cadre légal, il peut s’exposer à des poursuites judiciaires et des peines pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et 300 000 euros d’amende. Concernant le recours à des keys loggers, la CNIL est par exemple souvent saisie par des salarié‧es et procède à des mises en demeure d’entreprises.

💡 Bon à savoir : si vous classez vos recherches dans un dossier intitulé “personnel”, l’employeur ne pourra le consulter qu’en votre présence ou après vous en avoir préalablement informé‧e.

Pourquoi contrôler l’activité des salariés ?

Maintenant que vous savez que votre employeur a le droit de consulter votre historique internet, et comment il peut s’y prendre pour le faire, vous vous demandez probablement pourquoi il détient ce droit de contrôler votre activité.

L'employeur peut consulter les connexions internet pour s'assurer de leur conformité avec les règles de l'entreprise, pour éviter des abus et s’assurer de la productivité des salarié‧es, mais aussi pour des raisons de protection industrielle et de cybersécurité. Il en a également le droit pour se prémunir de pratiques dont il pourrait être pénalement responsable comme le téléchargement illégal.

Votre boss peut aussi limiter l'accès à certains sites non autorisés comme les sites pornographiques, révisionnistes, incitant à la haine, etc.

Pouvoir de direction de l’employeur vs vie privée des salarié‧es

Si votre employeur a le droit de fixer des limites concernant votre accès à internet, il n’a toutefois pas le droit de vous interdire d’en faire un usage personnel : ce serait une atteinte à votre droit d’avoir une vie privée, droit qui s’applique aussi dans le cadre de l’entreprise comme le prévoit l’article L. 1121-1 du Code du travail.

Votre employeur n’a pas le droit de vous couper totalement du monde extérieur, et les connexions internet personnelles sont tolérées mais à une condition : du moment que votre usage d’internet reste raisonnable et conforme au règlement de l’entreprise. Si la nature et/ou la durée des connexions personnelles sont abusives, vous pouvez risquer de vous faire licencier pour faute grave (Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06–45800).

Dans ce contexte, les frontières entre vie pro et vie perso paraissent très perméables, avec deux principes qui s’opposent : la notion de vie privée de l’employé‧e et le pouvoir de direction de l’employeur. Tout le défi reste de “trouver un équilibre entre le respect de la vie privée du salarié et la nécessité de contrôler l'usage des outils que l'employeur met à disposition”, conclue l’avocat Eric Rocheblave au micro du Parisien.

Une simple question d’accès à internet qui cristallise des enjeux propres à l’évolution du monde du travail, entre droits individuels et devoirs professionnels, vie pro et vie perso, nécessité de contrôle et respect des libertés fondamentales.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

La newsletter qui va vous faire aimer parler boulot.

Chaque semaine dans votre boite mail.

Pourquoi ces informations ? Swile traite ces informations afin de vous envoyer sa newsletter. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien présent dans chacun de nos emails. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données personnelles et pour exercer vos droits, vous pouvez consulter notre politique de confidentialité