Violences conjugales : “ mon entreprise m’a accompagnée à tous points de vue ”

“Les violences conjugales ? C’est un sujet de l’ordre de l’intime, quel rôle l’entreprise pourrait-elle jouer dans ce domaine ?”. Avouez-le : jusqu’à présent, imaginer une quelconque responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de ce fléau sociétal ne vous avait jamais effleuré l’esprit. Pourtant, en tant que collègue, RH ou manager, vous avez un vrai rôle à jouer, comme en témoigne l’histoire de Pegah.
Parité, égalité, sororité… J’ai tellement le nez dans ces sujets depuis une quinzaine d’années que je me demande parfois si je n’enfonce pas des portes ouvertes. Et puis, certaines rencontres, certains articles, me rappellent combien l’indépendance économique des femmes est cruciale pour assurer leur protection, et celle de leurs enfants. C’est d’ailleurs ce qui me passionne dans cet objet “travail” que j’explore sous toutes ses formes : oui, le travail, c’est la vie. Tous les sujets s’interpénètrent, et, en l'occurrence, les violences conjugales ne font pas exception.
Il y a quelques mois, au détour d’une interview, une experte a donc posé le sujet sur la table : que peuvent faire les entreprises pour lutter contre les violences conjugales ? C’était la première fois que j’entendais parler de cette thématique. Et j’ai trouvé cela bouleversant. Alors, j’ai voulu creuser. Ce que j’ai rapidement compris, c’est que le cycle infernal des violences ne commence pas avec les coups. Ces violences sont aussi psychologiques, sexuelles et économiques. Un mal invisible qui ronge chaque jour des millions de femmes dans leur vie professionnelle. Et en tant que RH, employeur, manager, collègue, ami, proche, partenaire, nous avons tous un rôle à jouer.
Les violences conjugales ne commencent pas avec les coups
Pour mieux saisir la portée des violences conjugales sur la vie professionnelle, Pegah – dont l’histoire a été relayée dans certains médias – a accepté de nous livrer son parcours. Son calvaire débute par une histoire d’amour avec un homme bien sous tous rapports, chirurgien haut placé. Puis viennent les premières crises de jalousie de ce conjoint paranoïaque qui l’éloignent peu à peu de son métier de journaliste pigiste au sein de prestigieuses rédactions : “Ton rédacteur en chef a des vues sur toi, c’est quoi ce mail ?”. C’est le début de l’isolement, du repli social. Une mise sous emprise savamment orchestrée qui annihile toute opposition de la victime. Celle qui ouvre la voie à toutes les autres formes de violences qui ne se résument pas aux coups. Couper une femme de son emploi, lui faire perdre toute forme de confiance en elle, la contraindre à des attouchements non désirés, c’est tout ça aussi, la violence conjugale.
Pour Pegah, l’histoire s’est tristement poursuivie par le passage à la violence physique. Enceinte de trois mois, elle essuie les premiers coups durant une nuit entière. Pegah a alors le bon réflexe de se prendre en photo, le corps meurtri. Cependant, même son entourage ne la croit pas : “Mais enfin, c’est impossible, c’est une crème ce Pierre*”. Les violences ne cessent pas avec l’arrivée de l’enfant, jusqu’à ce que se produise l’inconcevable : Pegah se voit retirer la garde de son bébé de six mois, confié à son ex-mari qui dispose de réseaux influents dans la justice (et quelle justice !). Car comment comprendre qu’un homme placé sous contrôle judiciaire et ayant interdiction de s’approcher de la mère de son enfant, puisse en avoir la garde majoritaire ? “Après les coups, il y a donc eu la violence institutionnelle. À chaque fois que je ressors d’une audience, je suis broyée”, nous confie-t-elle.
La rédaction vous conseille
“Aujourd’hui, je suis incapable de prendre la parole en public”
Et pourtant, il faut tout de même continuer à travailler, et ce, d’autant plus que la partie adverse tente par tous les moyens de la faire passer pour une incapable, une folle, une saltimbanque. Ah et oui, parfois, on l’enterre vivante. Par exemple, la Directrice de la crèche qui gardait son enfant à l’autre bout de la France la croyait tout bonnement décédée. “Ce “désenfantement” est d’une brutalité infinie. Les premières années, je n’avais même pas de mots pour décrire cela”.
Dans cet horizon sombre, une éclaircie : sa rencontre avec son employeur actuel, StaffMe, une entreprise spécialisée dans l’intérim. Alors qu’elle décide de tourner le dos au journalisme pour obtenir un CDI et un statut plus stable (aux yeux de la justice), elle choisit de faire preuve d’une transparence absolue sur sa situation, et notamment les allers-retours qu’elle effectue un week-end sur deux et pour les vacances scolaires afin d’honorer ses droits de visite envers son petit-garçon. “Je dois poser deux jours à chaque fois pour aller dans le sud. Et puis, chaque mail des avocats est un coup de massue. Je suis irrémédiablement ralentie par rapport à mes collègues. Je suis souvent obligée de m’enfermer dans les toilettes pour pleurer. Et puis, je ne suis plus capable de prendre la parole en public comme avant. Je ne peux pas subir de pression au travail. Je le dis ouvertement, je suis brisée”.
“Ton combat, c’est aussi le mien”
Mais ces collègues, ces managers, ce sont justement ses piliers. Ceux qui au détour d’une plaisanterie à la machine à café lui font oublier sa situation pendant cinq minutes. Ceux qui la ramènent à la vie normale, tout simplement. Pegah peut surtout compter sur le soutien sans faille de sa DRH qui ne lui a jamais refusé un seul jour de congé. “Elle n’a pas encore d’enfants, mais elle m’a dit cette phrase très forte : ton combat de femme et de mère peut nous toucher toutes”.
Elle peut aussi s’appuyer sur ses managers qui ne manquent pas de la féliciter, et l’aident peu à peu à remonter sa jauge de confiance. “Je crois farouchement à la nécessité de cette transparence. C’est évident, quand on est victime de violence, notre performance est considérablement impactée. On ne peut alors que compter sur une direction réellement empathique, et certainement pas sur les faux-semblants et discours de bonnes intentions”.
La bienveillance, la vraie, pour votre collègue, votre subalterne, qui pourrait être votre sœur, votre amie, votre fille. Ou même vous.
*Le prénom a été modifié