société

Violences conjugales : “Une entreprise où on se sent en sécurité, c’est une entreprise performante”

Au travail, on vient avec notre bagage personnel. Pour certaines, ce bagage est un peu plus lourd. Les victimes de violences conjugales doivent faire face à un défi unique au travail : survivre.


6 min
27 janvier 2025par Léa François

De “violences conjugales” à “femme battue”, le raccourci est vite fait. Pourtant, les violences dans le cadre du couple sont protéiformes, et ne sont que rarement identifiables en société. Vigdis Morisse Herrera, survivante de violences conjugales et entrepreneuse dans la tech, n’a pas toujours été consciente de son statut de victime et milite aujourd’hui, à travers sa plateforme Opale.care, pour une meilleure prévention et prise en charge des victimes en entreprise.

Ce qui se passe à la maison a un impact sur la manière dont on va travailler

Le problème des violences conjugales, c’est qu’elles sont souvent placées du côté de l’intimeparce que ça n'arrange pas forcément de se dire que ce qui se passe à la maison a un impact sur la manière dont on va travailler” amorce Vidgis.

J'arrivais au travail, je me mettais devant mon ordinateur et j'attendais que la journée se passe. Je n'arrivais à rien faire d'autre. C'est de la perte de productivité parce que le cerveau est toujours à se poser des questions. Ça a eu un impact considérable sur le travail que je faisais et le développement économique auquel je ne contribuais pas” reconnait la cheffe d’entreprise.

Mais si Vigdis allait particulièrement mal, c’est aussi parce qu’elle a passé très longtemps sans pouvoir identifier qu’elle était victime de violences conjugales, ne rentrant pas dans les standards de “la femme battue”. “Vu que je ne subissais pas de violences physiques, je n'arrivais pas à me considérer comme victime” explique-t-elle.

Pourtant, les violences conjugales ne se résument pas aux coups : on compte aussi “les violences psychologiques, les violences sexuelles, les violences économiques, les violences administratives, les violences vicariantes – tout ce qui concerne les enfants – et bien sûr cyberviolences”.

Victime de violences psychologiques et sexuelles, Vigdis a dû cacher sa souffrance au quotidien : “Au travail, je pleurais, je ne me sentais pas à la hauteur de supporter tout ce que j'avais sur mes épaules. Je l'ai fait, mais j'ai donné dix fois plus que n'importe qui pour réussir à maintenir l'illusion que tout allait bien” se souvient-elle.

Une situation qui affecte tout l’écosystème professionnel

D’après une étude de 2019 réalisée par le réseau OneInThreeWomen et la fondation Face, 16 % des victimes de violences conjugales ont déjà subi jusque sur leur lieu de travail. “Ce n'est pas que la victime que ça va impacter, mais ce sont aussi les collègues et l'ambiance de travail. Si on sait que le conjoint peut débarquer à tout moment, ce n'est pas que la victime qui a peur, c'est l'ensemble de l'équipe dans laquelle elle travaille” argumente Vidgis.

D’après cette même étude, 55% des victimes ont déclaré que les violences affectent leur travail a minima d’une des trois manières : retards, absentéisme ou présentéisme (c’est-à-dire le fait de venir au travail alors que la capacité de travail est réduite à cause d’une maladie, d’une blessure, d’anxiété ou de stress).

Des conséquences qui représentent un coût pour l’entreprise : “En 2006, une étude a été réalisée pour évaluer le coût des violences conjugales, c’est-à-dire combien la société paye pour endiguer les conséquences des violences. Et cette étude avait estimé qu'une victime représentait 68 000 € pour la société. Et ce qui est intéressant, c'est que sur les 68 000 €, il y a une partie pour tout ce qui va être aide sociale, une partie pour la justice, une partie pour la Sécurité sociale, mais il y a surtout 44 % qui sont directement imputables à l'employeur” relève l’entrepreneuse.

D’où l’intérêt pour les entreprises de se saisir de ce sujet de société. “Une entreprise qui va lutter contre les violences conjugales et leur impact, et non pas uniquement en intervenant au moment des situations d'extrême urgence, c'est une entreprise qui va gagner en performance parce que cette perte de productivité, cet absentéisme, ça représente énormément d'argent pour les entreprises, amorce Vigdis. Et une entreprise où on se sent en sécurité, c'est une entreprise qui est performante” poursuit-elle. “À partir du moment où on sait que quand on vient travailler, on va être entendue, écoutée, soutenue et que ce qu'on vit à la maison ne va avoir aucun impact sur le maintien dans l'emploi, ne serait ce que ça, c'est déjà extraordinaire pour les victimes”.

Une plateforme pour sensibiliser et aider les victimes au travail

Forte de son parcours de vie, Vigdis a créé la plateforme Opale.care pour aider les entreprises à mieux accompagner les victimes de violences conjugales au travail. Le premier levier d’action, c’est celui de la prévention qui intervient à travers un diagnostic permettant aux potentielles victimes d’identifier la typologie de violences auxquelles elles sont confrontées, mais aussi à travers des ressources fournies en toute transparence aux salarié‧es.

On va proposer aux entreprises de référencer à l'intérieur de l'application, en plus des aides associatives, en plus des aides de l'État, ce qu’elles ont décidé de mettre en place pour leurs salariées. Ça peut être d’avoir une journée de congés payés pour aller porter plainte ou aller au service juridique d'une association, se porter caution pour un appartement, autoriser des jours de congé pour quitter un foyer violent…”.

L’idée étant de rendre l’information simple et accessible : “C'est un sujet qui est tabou, on ne va pas en parler à n'importe qui. Donc avoir l'information qui vient à nous, c'est extrêmement important” souligne Vigdis, pour qui c’est aussi une manière de soulager la charge mentale des victimes qui luttent déjà pour survivre. En effet, l’étude OneInThreeWomen pointait déjà que moins de 2 victimes sur 10 connaissent les ressources à leur disposition sur leur lieu de travail, et que seules 37% avaient osé parler de leur situation au travail.

Les entreprises, de leur côté, ne sont pas en reste : sur Opale.care, elles ont aussi accès à un simulateur pour leur permettre de s’approprier la problématique des violences conjugales dans leur propre écosystème. Après avoir renseigné un certain nombre de critères (quantité de salarié‧es, ratio femmes-hommes, niveau de salaire, etc), les employeurs verront s’afficher combien de victimes potentielles compte leur entreprise, mais aussi combien d’agresseurs et combien d’enfants co-victimes, ainsi que le coût que cela représente pour la boite et quelle économie serait faite en recourant au service d’Opale. Une plateforme d’utilité publique qui réinvestit les entreprises d’une responsabilité sur ce sujet sociétal urgent.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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