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Ceux qui bossent à distance font-ils vraiment partie de l’équipe ?

Oh god, encore un énième article sur le full remote ?! Bon, on vous rassure de suite, l’idée n’est pas de vous ressasser que le travail à distance crée de l’isolement. Ce qui nous intéresse ici, c’est de décortiquer les interactions entre les salariés en présentiel et distanciel lorsqu’ils finissent par se retrouver. “Just an ordinary day” pour les uns, la “fiesta” pour les autres ?


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De l’excitation qui se tord finalement en déception : c’est l’expérience vécue par Marine*, 35 ans, salariée en content marketing. Il y a deux ans, elle prend un poste à distance dans une boîte parisienne alors qu’elle est basée à Valence. Chaque mois, elle “monte” à la capitale pour retrouver son équipe en sautant dans le train (les yeux encore embués par la nuit). Sauf que la journée n’est souvent pas à la hauteur de ses attentes. Dès le seuil de la porte de l’entreprise, c’est la douche froide. “En tant que travailleuse remote, je n’avais pas de badge. C’est symbolique mais le fait de devoir appeler un collègue pour m’ouvrir me faisait déjà me sentir différente des “présentéistes ”, se souvient-elle.

Je m’asseois où ?

Puis vient le moment de flottement où la jeune femme ne sait pas vraiment où s’asseoir, où certains collègues lèvent à peine la tête de leur écran pour la saluer et ne le quittent pas forcément à l’heure du déjeuner. “Étant tout le temps à distance, j’avais besoin d’interactions informelles, de partager un café, mais les autres étaient concentrés sur leur boulot. Et quand ils décrochaient enfin, je sentais leur proximité entre eux, ce qui me renvoyait encore plus à mon isolement”, poursuit-elle. Un sentiment d'isolement bien tangible que confirme d'ailleurs une méta analyse.

Pourtant, loin de vouloir jouer les caliméros, Marine l’assure, elle est sociable ! “J’ai ressenti une énorme fracture entre mes attentes et le déroulé de la journée, qui, pour les présentéistes, ressemblait finalement à toutes les autres. C’est peut-être présomptueux, mais j’aurais aimé qu’on “m’attende””, ajoute la jeune femme. Le clou du désappointement ? Lorsque ses collègues filaient dans une cabine de visio pour la réunion de l’équipe ! “Alors, certes, il y avait des personnes à distance, mais pour une fois que je pouvais être en présentiel ! J’aurais aimé que l’on se retrouve au moins dans une même salle”, regrette-t-elle.

Heureusement, les déplacements de Marine étaient souvent motivés par une soirée le soir qui permettait quelque peu de rattraper le tir. “Il n’en demeure pas moins que j’avais un petit goût d’amertume. Je me sentais différente des autres, comme si je n’étais pas vraiment une salariée de l’entreprise”, ajoute-t-elle.

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Le remote, un salarié de seconde zone ?

Dans cette même entreprise, nous rencontrons Johanna.  Elle aussi a le sentiment, quelque part, d’être une salariée de seconde zone. Un peu comme dans un épisode d’Hartley cœurs à vif (l’autrice a ses références culturelles bien à elle, ndlr) elle n’a pas l’impression d’être intégrée au groupe : “j’arrive de la province avec mes bottes achetées à la Halle aux chaussures quand au sein de ma boîte, j’ai l’impression que c’est le catwalk parisien”, plaisante-t-elle.

Mais derrière les apparences, la blessure est profonde. Johanna ne se sent plus faire partie de l’équipe depuis qu’elle a diminué son nombre de venues au bureau, et envisage de démissionner dans les prochains mois. Le wagon est trop difficile à raccrocher !

Ce que nos deux interviewées racontent ici de manière empirique peut prêter à sourire, mais trouve en réalité une explication dans les sciences sociales. Yann Vaucher, Docteur en Business Administration, nous rappelle ainsi que nous avons tous besoin de nous sentir appartenir au groupe. “Quand dans une entreprise il y a des travailleurs à distance, et d’autres en présentiel, ils ne partagent souvent pas le même inconscient collectif, ni le même attachement ou vécu”, explique-t-il. De plus, il ajoute que chaque humain tente en permanence de se conformer aux normes du groupe. “Ce que raconte Johanna renvoie à la pression de conformité pour tenter de ressembler aux autres, ce qui est fatalement plus compliqué à distance”, ajoute-t-il.

<aside> 🧠 Mais c’est quoi au juste un groupe ? La dynamique des groupes est une expression officiellement consacrée par Kurt Lewin en 1944. On parle de groupe primaire quand ses membres entrent en relation de face à face. Roger Mucchielli nous indique que tout groupe possède 7 caractéristiques psychologiques fondamentales :
  • Les interactions ;
  • L’existence de buts collectifs communs ;
  • L’émergence de normes ou règles de conduite ;
  • L’émergence d’une structure informelle de l’ordre de l’affectivité ;
  • L’existence d’émotions et de sentiments collectifs communs (« comme-uns » : formule de Jacques LACAN);
  • L’existence d’un inconscient collectif ;
  • L’établissement d’un équilibre interne et d’un système de relations stables avec l’environnement.

Heureusement, les remote heureux, ça existe !

À Dijon (ou plutôt via écrans interposés), nous retrouvons cette fois-ci Lou, brand designer pour la startup Indy (qui simplifie la vie administrative des indépendants). En poste depuis le mois de mars, elle se rend deux jours par mois au siège de l’entreprise, à Lyon. “Pour ma part, je suis une salariée comme les autres. Bien sûr, ce n’est pas pareil de ne pas être présent physiquement, mais je me sens bien intégrée notamment parce que la boîte a adopté de bonnes pratiques pour les remote, affirme-t-elle.

Point d’errance dans les couloirs lorsqu’elle vient “sur site”. Situés à 5 minutes de la gare, les locaux sont divisés en différents pôles ce qui permet à la jeune femme de savoir immédiatement où se rendre, avant de choisir une place en flex office. Et même si elle est la seule sur son poste dans l’entreprise, Lou ne se sent pas isolée. “Déjà, je suis rattachée à un pôle. Mais surtout, j’ai beaucoup apprécié ma semaine d’onboarding en présentiel à Lyon. J’ai gardé des liens avec ma promo et on s’organise toujours un déjeuner ensemble quand on se voit en présentiel”, raconte-t-elle.

Les autres clefs du succès de son intégration ? Des meetings réguliers avec son manager dans lequel ce dernier s’assure qu’elle parvient à nouer des relations informelles en dehors des réunions officielles, ou encore des cafés ou déjeuners virtuels avec des membres d’autres équipes grâce à un planning permettant de s’inscrire à distance et de rencontrer des personnes de manière aléatoire.

Mathilde Connac, DRH d’Indy, nous explique avoir grandement travaillé sur ces sujets. “Nous avons des questionnaires de bien être pour les salariés tous les deux mois, et il est vrai que nous nous étions rendu compte que le niveau de satisfaction des remote était un peu moins élevé, parce que ces derniers étaient quelque peu frustrés de ne pas pouvoir participer aux multiples événements organisés au siège”, affirme-t-elle.

🧠 Les mesures d’Indy pour mieux intégrer les remote Depuis, l’équipe RH a mis en place de nouvelles règles et rituels pour améliorer davantage l’intégration des remotes  (25% de l’effectif global), sachant que le collaborateur doit se trouver à maximum 3h de Lyon, un choix délibéré après une tentative d’ouvrir les recrutements dans toute la France.
  1. La création d’un bureau pour les remotes à Paris (plus de la moitié des travailleurs à distance de l’entreprise, soit 25 personnes), et une duplication de certains événements lyonnais à Paris.
  2. Un budget spécifique pour l’équipe parisienne pour tisser du lien (20 euros par tête chaque mois pour un restaurant ou autre)
  3. L’obligation de convier systématiquement les remotes aux événements de teambuilding lyonnais
  4. La possibilité pour les managers de se déplacer de manière illimitée pour rencontrer leurs équipes remote
  5. L’obligation pour les remotes de venir 2 jours par mois, et plus s’ils le souhaitent
  6. Lors des événements, des dîners placés pour permettre de casser les silos et offrir plus d’opportunités aux remotes de rencontrer d’autres salariés de l’entreprise
  7. Un bureau situé à 5 minutes de la Gare Part Dieu, avec une “plaza” centrale et notamment une immense tablée centrale pour favoriser les rencontres. </aside>

Jongler entre l’individuel et le collectif

Pour Yann Vaucher, il incombe effectivement aux managers et RH d’améliorer l’expérience de tous les employés en identifiant leurs préférences de comportement (ce qui n’est pas simple car tout le monde n’a pas les mêmes attentes), mais aussi en “apprenant aux équipes à s’entraîner à faire du collectif à travers des normes, règles et rites communs”.

Un point de vue partagé par Léna Basile, DRH à temps partagé, qui a aussi beaucoup planché sur ces questions. “Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il faut parfois écrire des règles qui semblent pourtant évidentes comme faire une réunion en présentiel plutôt que d’être les uns à côté des autres avec un casque. C’est essentiel car dans ma précédente entreprise, on observait que les équipes qui avaient le plus de temps de cohésion étaient aussi celles avec le moins de turnover. Une belle façon de développer l’engagement des équipes dans un contexte de tension des talents”, illustre-t-elle.

Par delà, elle encourage tous les RH et managers à se poser une fois par an pour faire le point sur ces questions fondamentales, et ainsi créer du lien dans toute l’équipe entre les remotes et présentéistes : qu’est-ce qui fait de nous une équipe ? Qu’est ce qu’on aime faire ensemble ? Comment a-t-on envie de travailler ensemble ? Quels rituels souhaite-t-on mettre en place ? Qu’est-ce qui fait notre identité ?Cela doit ensuite être incarné par les managers de proximité pour le faire vivre au quotidien. Les attentes des collaborateurs ne sont pas toutes les mêmes, mais il est possible de  trouver des points de convergence en aidant chacun et chacune à verbaliser leurs besoins”, conclut-elle.

*Le prénom a été modifié

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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