De la drague au harcèlement, il n’y a parfois qu’un pas sur LinkedIn
Plateforme professionnelle, LinkedIn est aussi un réseau social où les frontières entre boulot et perso peuvent être perméables. Mais alors, draguer sur LinkedIn, bonne ou mauvaise idée ?
Y a-t-il un seul espace, physique ou virtuel, où les femmes ne soient pas objectifiées par les hommes ? Ça nous arrive dans l’espace public comme sur les réseaux sociaux, y compris ceux où il semblerait particulièrement incongru d’avoir des comportements déplacés.
Eh oui, LinkedIn, temple des travailleurs‧euses, ne fait pas exception : sur la plateforme qui connecte les professionnel‧les, 91% des femmes ont déjà reçu au moins une fois des avances romantiques non sollicitées ou des messages inappropriés, selon l’étude 2023 “LinkedIn est-il le nouveau Tinder ?” menée auprès de 1 049 utilisatrices de LinkedIn aux États-Unis.
Mais alors que pensent les salarié‧es de cette drague 3.0 ? Et comment la plateforme fait-elle face aux dérives ?
Un “espace de mise en contact” comme un autre
Si LinkedIn est une plateforme destinée aux professionnel‧les, elle reste aussi, quoi qu’on en dise, un réseau social. “Je pense que tout espace de mise en contact peut déborder sur ça” observe un homme croisé lors de notre micro-trottoir. “Même Strava par exemple, l'équivalent sportif, est devenu un lieu de drague” abonde un autre.
Dès lors, les utilisateurs‧trices naviguent d’une plateforme à l’autre, tantôt de façon indifférenciée, sans forcément adapter leur comportement à la typologie du réseau, tantôt de manière stratégique : “Il y a même des gens qui reprennent contact avec leur ex sur ce genre de réseau, parce que c'est le seul endroit où ils ne sont pas bloqués” pointe une jeune femme.
Quand une autre reconnait avoir déjà recouru à LinkedIn pour procéder à du fact-checking : ”Un des premiers trucs que j'ai fait en rencontrant mon copain, c'était d’aller voir son profil sur LinkedIn. Je me suis déjà fait baratiner et je voulais vérifier que ce qu'on m'avait dit, c'était vrai”.
Un peu agacé, un salarié s’interroge à notre micro à propos de la pertinence de flirter sur LinkedIn quand d’autres plateformes sont spécifiquement dédiées aux approches romantiques et/ou sexuelles : ”Si tu veux draguer, il y a des réseaux qui sont faits pour. Du coup, je me dis : pourquoi quitter ce réseau-là pour aller ailleurs ?”.
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De la drague au harcèlement sexuel
Bon, je pense qu’on s’accorde tous‧tes assez facilement à dire que draguer sur une plateforme dédiée aux connexions professionnelles, c’est non seulement inapproprié, mais aussi très intrusif. Des comportements qui, d’après l’étude, s’expriment de manière régulière et protéiforme. Parmi les femmes sondées, 24% subissent ces approches quasi quotidiennement, près de 21% de manière hebdomadaire et 30% une fois par mois.
Côté forme, il s’agit de compliments ou flatteries non désirées (14%), de propositions de rencontres romantiques ou sexuelles (31%), de demandes d’informations personnelles ou intimes (30%) ou encore d’envoi de contenu explicite non sollicité (12%).
Et parfois, il n’y a qu’un pas du virtuel au réel, l’intrusion prenant alors une autre ampleur. Une recruteuse nous confie ainsi être particulièrement exposée du fait de sa fonction : “Un jour, je rencontre quelqu’un en entretien, et là, il me dit : “Je vous ai trouvé très jolie donc c’était un plaisir de potentiellement échanger avec vous” se souvient-elle.
L’ensemble de ces comportements non sollicités affectent les principales concernées qui se sentent “ennuyées”, “confuses”, “inconfortables”, “inquiètes”. Certaines (9,5%) se sentent “violées”.
Loin de ne pas réagir, elles procèdent à des signalements sur la plateforme (43% y ont déjà recouru plusieurs fois, et 36% une fois), répondent à l’expéditeur en lui indiquant que le message n’était pas approprié (43%), ignorent ou suppriment le message (23%), voire bloquent la personne (17%).
Quelle responsabilité pour LinkedIn ?
Ces comportements, bien qu’imputables à des individus, nuisent nécessairement à l’image du réseau social professionnel : 74% des utilisatrices ont ainsi déjà ressenti le besoin de se désengager de la plateforme et de limiter leur activité. “J’ai eu trop de cas où les gens sont allés trop loin. C’est inconfortable, alors j’ai fini par faire une pause sur LinkedIn pendant un certain temps” témoigne une des femmes dans l’enquête.
Chez LinkedIn, le sujet est en effet loin d’être pris à la légère : suite à nos sollicitations, la plateforme nous explique que tout contenu inapproprié est détecté par les algorithmes pour ensuite être supprimé, et que tout signalement donne lieu à une notification automatique puis une analyse auprès des équipes Trust & Safety.
Depuis 2023, une fonctionnalité optionnelle est aussi proposée aux utilisateurs‧trices pour détecter en amont les contenus qui s’apparenteraient à du harcèlement et les en protéger. La même année, une campagne avait même été lancée sur la plateforme en France avec des top voices pour sensibiliser sur le sujet.
Malgré des dispositifs intransigeants sur les faits de harcèlement, LinkedIn reste une plateforme conversationnelle qui s’efforce de garantir le libre-arbitre et la liberté d’expression (dans le respect de tout un chacun). Si la drague et le flirt s’y invitent, c’est non seulement parce les rencontres irl s’effacent au profit d’un monde toujours plus connecté, mais aussi parce que l’univers pro, sous toutes ses formes, a toujours été un espace pour relationner : rappelons que 37% des Français‧es ont déjà eu un crush pour un‧e collègue de bureau, et que 59% d’entre eux ont franchi le pas, selon une enquête publiée en 2022.