société

Embauché‧e au premier regard : le pretty privilège, ou quand le physique devient (presque) une compétence

Si vous pensez qu’être “beau” ouvre des portes, vous avez raison. Si vous pensez que le physique n’est pas une compétence, vous avez raison. Alors pourquoi, même quand on le sait, on ne peut s’empêcher d’associer les deux ? Et si vous pensez ne pas faire partie de ceux qui sont biaisés… on vous propose un petit jeu en fin d’article. Deal ?


8 min
7 février 2024par Yannick Merciris

Connaissez-vous Jeremy Meeks ? A priori, ce nom ne vous dit rien. Mais si je vous parle d’un prisonnier hyper beau gosse aux yeux bleus translucides, peut-être que ça rafraichira les mémoires de certains. Arrêté, condamné et emprisonné en 2014, son mugshot (photo d’identité judiciaire) a fait le tour du monde. On s’est ému face à ce bad boy sexy. On a presque oublié qu’il était un criminel. Il a signé un contrat de modèle, et a même défilé lors de la Fashion Week de 2017.

La beauté est-elle un critère de recrutement ?

Pourquoi on vous raconte ça ? Parce que Jeremy Meeks est un exemple de ce qu’on peut appeler le pretty privilege : le bénéfice social que l’on peut tirer de sa “beauté”. Vous allez me dire : quoi de plus normal pour un mannequin que d’être jugé sur son physique ? Et vous aurez surement (un peu) raison. Mais pour tous les autres métiers, trouveriez-vous ça normal de prendre la “beauté” comme critère de recrutement ? Je fais le pari que non. Et pourtant, peut-être que si…

L’économiste Eva Sierminska a publié une étude qui présente le résultat suivant : les personnes jugées comme attirantes gagnent 15% de plus que les autres. Ses résultats lui font dire qu’il existe “une prime à la beauté” dans la société. Elle ajoute qu’une étude montre également que les attractive workers (les collabs beau gosse en VF) augmentent les revenus de l’entreprise et qu’ils couvrent largement le fait de les payer plus cher que les autres.

Inutile de préciser que le physique n’est pas une compétence, alors pourquoi ce beauty privilege existe-t-il ? Il peut trouver de nombreuses raisons d’être expliqué (mais pas d’exister pour autant). Il y a l’effet de halo. C’est un biais cognitif popularisé par Edward Thorndike. Une sorte d’aura que la beaugossitude entraine avec soi : plus de confiance en soi, on inspire plus confiance aux autres, on est perçu comme plus intelligent… bref, tout est augmenté en présence d’un canon de beauté supposé. Dès lors, dans ce climat de confiance, on se sent presque pousser des ailes (méritées ou non, peu importe), le résultat est là. On ose plus, et donc on obtient plus aussi. Être intelligent nous rend-il plus beau… ou la beauté nous rend-elle plus intelligent ?

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Les yeux du peuple, les voix du peuple

En politique aussi, l’apparence peut être influente. Citant une étude finlandaise, François Hourmant, maître de conférences en sciences politiques à l’Université d’Angers, explique, dans Ouest-France, que le pretty privilege “peut représenter une plus-value de 15 à 20 % selon la nature des élections”. Et d’ajouter : “François Mitterrand lui-même bénéficiait des conseils de Jacques Séguéla et d’autres conseillers en communication. On raconte que c’est à l’instigation de ce dernier que François Mitterrand s’est fait limer les incisives latérales pour offrir un sourire plus enjôleur. Plaire au peuple n’aura jamais été si littéral.

Si la politique peut être une course charmante, celle qui mène au travail n’a rien d’un concours, ni d’une élection. Et pourtant, le physique ne s’efface jamais. “75% des recruteurs et 48% des recruteuses déclarent qu’il est important que le candidat leur plaise physiquement”, explique Jean-François Marmion, auteur de Psychologie des beaux et des moches, pour Welcome To The Jungle.

Évidemment, la question de la légalité se pose. Et pour citer les grands penseurs : “la question est vite répondue”. “Les discriminations liées à l’apparence physique sont interdites, notamment au travail (articles 225-1 du Code pénal, L. 1132-1 du Code du travail et 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

💡 Ce que dit le Défenseur des Droits sur l’apparence physique ”Chaque personne a une vision très personnelle de son apparence physique et de celle des autres. La beauté ou le style vestimentaire ne sont pas perçus de la même manière selon les personnes et les époques ou les lieux. Le milieu professionnel est lui aussi régi par ses propres codes sociaux (costume/tailleur) ou des normes obligatoires (port d’un casque, d’un uniforme). Pourtant, tout n’est pas autorisé. Les discriminations liées à l’apparence physique sont interdites, notamment au travail (articles 225-1 du Code pénal, L. 1132-1 du Code du travail et 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) (Source : Défenseur des Droits - Le physique de l’emploi : l’apparence physique est un critère de discrimination)

Ça veut dire quoi être beau ?

Le pretty privilège est fondé sur un standard de beauté conjoncturel : dans le temps et le lieu. Si aujourd’hui le monde semble presque unifié sur les standards, être beau en France, au Japon, en Iran ou au Venezuela peut impliquer quelques différences. Et si nous parlons de la beauté de 2024, que serait le pretty privilège si nous remontions aux descriptions des romans du 18-19e siècle, ou encore aux canons de beauté de l’Antiquité ?

Mais là où la beauté pourrait mettre tout le monde d’accord, il faut croire qu’il existe des barrières que le genre ne traverse jamais. Car, sans surprise (on commence à s’habituer), femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Notre économiste Eva Sierminska explique également dans son étude qu’il existe un “gender gap” dans le “pretty privilege” : “Les hommes attirants profitent immédiatement d’un salaire supérieur alors que pour les femmes, la prime à la beauté s’instaure plus graduellement”. Pire encore, elle ne dure pas : “Les femmes perdent ce pretty privilege avec l’âge tandis qu’il se maintient pour les hommes”. Le patriarcat ne déçoit jamais.

Femmes et hommes : une inégalité de plus sur l’apparence

“Il existe toujours une lecture genrée de l’apparence”, détaille François Hourmant, toujours dans les colonnes de Ouest-France. “Le risque pour ces dernières est d’être enfermées dans leur corporéité, c'est-à-dire d’être réduite à leur apparence. On voit bien l’opération de réduction qui peut s’opérer, et qui tendrait à dénier à ces femmes politiques une expertise, une compétence. De ce point de vue, on peut dire que l’effet beauté n’est pas tout à fait le même pour les femmes et les hommes”.

L’autrice Mona Cholet résume ce fait dans des propos repris par Le Parisien : ”dans la sphère professionnelle, les femmes doivent être ni trop ni trop peu attirantes. Elles risquent de ne pas être jugées crédibles professionnellement et, si elles se font harceler sexuellement, elles l’auront bien cherché”. Car en plus d’avoir moins, les femmes risquent plus.

Moins d’argent, plus de harcèlement, et moins de crédibilité. L’étendard de beauté des années 2010, Emily Ratajkowski, l’a très bien exprimé dans son livre au titre très révélateur My Body (Mon corps) : “Mon seul espoir avec ce livre, et qu’avant de vous en faire une opinion, vous preniez au moins le temps de me lire”. Elle dira plus tard sur sa carrière d’actrice rapidement abrégée : “c’est un paradoxe intéressant : si vous êtes une actrice sexy, c’est vraiment difficile de décrocher des rôles sérieux”. Le jeune premier Leo Di Caprio ou le sexagénaire Brad Pitt sont-ils eux aussi passés par là ?

“Une grande beauté implique de grandes responsabilités”

Mais n’allez pas croire qu’être beau est également de tout repos (même si ça semble plus facile apparemment). Une autre étude explique que s’il existe une “prime à la beauté” concernant les “socials skills” (comprenez les compétences sociales), il existerait une “pénalité de la beauté” (beauty penalty) en ce qui concerne les compétences analytiques. Qu’est-ce que ça signifie ? C’est un peu flou. Mais les acquis offerts par une soi-disant beauté peuvent servir… si on en prend conscience.

“Si vous remarquez que vous avez accès à certaines réunions ou des projets, et que les autres non, à cause de ça, vous avez le devoir de les emmener avec vous, détaille Anne Bono, spécialiste des questions d'inclusion et d’équité. Il faut que les gens désaprennent ce qu’ils font sans même s’en rendre compte. Et ça fonctionne pour tous les privilèges que l’on peut rencontrer”.

Si à la fin de cet article, vous restez persuadé que toute cette histoire de biais ne vous concerne pas, je vous propose un dernier exercice. Faites le test d’Harvard sur les associations implicites. On en reparle juste après ?

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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