société

“Nous avons besoin des femmes” : quand l’orientation genrée fait du tort aux secteurs pro

En 2024, l’orientation reste genrée, alimentant les disparités dans les secteurs professionnels scientifiques et techniques, alerte la dernière enquête nationale de l’association Elles Bougent.


5 min
4 octobre 2024par Léa François

Quand j’étais plus jeune, j’étais plutôt douée pour les matières scientifiques, que ce soit les mathématiques, la physique et les sciences de la vie et de la terre. Pourtant, j’étais moins à l’aise dans ces cours-là. Je prenais beaucoup moins la parole. Je ne me projetais pas, pour la suite de mon parcours, dans des filières scientifiques.

Bon, le fait est que j’ai toujours été une littéraire dans l’âme, que je détestais disséquer des grenouilles et que j’étais totalement insensible à “l’élégance” d’une équation (comme disait ma prof, coucou Mme Lainé). Mais je me demande aujourd’hui, avec du recul, si je n’ai pas aussi été un peu conditionnée, en tant que fille, à intégrer des stéréotypes de genre qui m’ont éloignée de ces disciplines.

Ça m’est arrivé il y a une vingtaine d’années, mais en 2024, l’orientation des filles est-elle moins genrée ? Spoiler : non. Pour preuve, l’enquête nationale réalisée par l’association Elles Bougent en partenariat avec OpinionWay, menée auprès de 6 125 femmes, dont 4 202 ingénieures et techniciennes actives et 1 923 étudiantes en voie de le devenir.

Des biais de genre de l’école à l’entreprise

Tout ce que je viens de vous dire sur mes souvenirs de collégienne et lycéenne, je suis loin d’être la seule à l’avoir expérimenté : à l’école, les maths et les sciences faisaient partie des matières préférées de 88% des femmes sondées, mais, en dépit de cet intérêt, près d’un tiers d’entre elles se rappellent qu’elles osaient moins s’affirmer que les garçons.

Une inhibition nourrie par les stéréotypes de genre auxquels 82% d’entre elles se souviennent avoir été confrontées durant leur scolarité. Près d’une femme sur deux déclare ainsi avoir dû supporter des préjugés sur ses capacités en sciences, un environnement qui conditionne les jeunes filles et les freinent dans leurs ambitions : 63% des étudiantes ressentent le syndrome de l’imposteur.

Au global, une jeune femme sur cinq est découragée de poursuivre des études scientifiques. Plusieurs causes à cela : des environnements très masculins, un manque de rôles modèles féminins, mais aussi la crainte des violences sexistes et sexuelles et du harcèlement, observé‧es et/ou redouté‧es dans la scolarité (20% des étudiantes soulignent l'existence de violences dans le cadre des études, 16% pour les VSS et 11% pour des faits de harcèlement), mais aussi dans le monde pro.

L’ensemble des biais de genre persistent au-delà de la formation puisque près de 7 étudiantes sur 10 estiment que certains métiers sont aujourd’hui moins accessibles aux femmes qu’aux hommes : policier‧es, militaires, pompier‧es, mais aussi métiers du numérique, de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité et de l’industrie. Et on peut dire que c’est une réalité : aujourd’hui, seulement 24% des ingénieur‧es en France sont des femmes.

“Elles bougent”, l’asso qui veut féminiser les professions scientifiques et techniques

Malgré tous ces points d’alerte, les choses ont tendance à avancer dans le bon sens : les filles s’orientent de plus en plus tôt vers les métiers de l’industrie (16 ans et demi en moyenne pour les étudiantes vs 18 ans en moyenne chez les actives de + de 50 ans). Problème ? Le mauvais taux de transformation école-entreprise : oui, les boites peinent à recruter des talents féminins.

Et pour Valérie Brusseau, présidente de l’association Elles Bougent – dont l'objet est d'attirer les jeunes femmes vers les STEM (science, technology, engineering and mathematics) – il y a urgence en matière de futur du travail : “Face aux enjeux de décarbonation, de défi énergétique, d’intelligence artificielle, nous avons besoin des femmes” alerte-t-elle. C’est dans ce cadre que l’asso se revendique comme un “facilitateur du monde de l’entreprise” à ses yeux.

Comment ? À travers trois leviers d’action :

  • Faire le lien entre l’école et l’entreprise via des visites de chantiers, d’usines, des tables-rondes, des salons pro
  • Intervenir en milieu scolaire (primaire, collège, lycée et enseignement supérieur) notamment en organisant des rencontres entre des femmes ingénieures et des élèves
  • Organiser des forums de recrutements 100% féminins pour réunir des jeunes filles de toute la France et des marraines de l’association.
💡 Mais pour briser le cercle de l’inaction, il faut que chaque acteur prenne ses responsabilités. C’est en ce sens que l’association a dressé une liste de recommandations :
  • au gouvernement : lancer une campagne de sensibilisation à destination du grand public en mobilisant les acteurs de l’orientation et de l’éducation
  • à l’éducation nationale : former les enseignant‧es aux biais de genre pour une culture plus inclusive dès le plus jeune âge
  • à l’enseignement supérieur : recourir à la discrimination positive à l’entrée des grandes écoles pour rééquilibrer
  • aux entreprises : former les managers et l’ensemble des équipes à la démarche RSE, à tous les niveaux de l’entreprise, pour que cette culture de l’égalité devienne un projet sociétal

Une plus-value pour les entreprises

À travers son enquête, l’association a voulu mettre en lumière le déterminisme social et l’impact des stéréotypes sociaux. Lutter contre ces biais et favoriser la présence des femmes dans les métiers des STEM, c’est profitable aux entreprises parce que ça renforce la diversité des points de vue et que ça rend donc l’innovation plus pertinente argumente Valérie Brusseau. “Dès lors qu’il y a 20 à 23% de femmes dans un groupe, l’efficacité collective y est renforcée de 40%” poursuit-elle.

Pour elle, l’autre enjeu est un enjeu business : “les femmes sont des prescriptrices d’achat” défend-elle. Elle entend par là qu’intégrer des femmes dans les phases de conception des projets, c’est intégrer des modèles de pensée qui vont toucher 50% de la cible. Une réalité qu’elle a observée lors de ses expériences professionnelles chez Renault et Nissan, ayant évolué à des postes de management dans l’ingénierie véhicule où elle définissait des approches globales et innovantes pour inclure la vision des femmes lors du processus de construction des voitures.

Enfin, le dernier argument est celui de la marque employeur : les entreprises qui affichent des politiques de diversité et d’inclusion vont pouvoir se montrer comme des employeurs engagés.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

La newsletter qui va vous faire aimer parler boulot.

Chaque semaine dans votre boite mail.

Pourquoi ces informations ? Swile traite ces informations afin de vous envoyer sa newsletter. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien présent dans chacun de nos emails. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données personnelles et pour exercer vos droits, vous pouvez consulter notre politique de confidentialité