Managers et RH : et si les ragots avaient du bon ?

90% des salariés en raffolent, selon une enquête menée par Howell Assessment : les ragots font partie intégrante de toute dynamique sociale. Mais en tant que manager ou RH, doit-on y prêter ou non une oreille attentive ?
Quand elle ne porte pas sa casquette de DRH d’Elmy (et membre du Comex), Camille Darde est Camille, une collaboratrice comme les autres qui aime s’attabler avec ses collègues à l’heure de l’apéro. Alors, il n’est pas rare qu’elle entende fuser la crème de la crème des potins de l’entreprise.
“Je n’ai pas envie que mes collègues s’empêchent d’émettre des critiques sur une personne parce que je suis à côté. Ces interactions sont importantes pour moi. En revanche, il est de mon devoir de faire la part des choses”, nous explique-t-elle.
Ragot ou rumeur ? L’art de décoder
Faire la part des choses, c’est déjà savoir différencier les ragots, qui relèvent de l’intime, des rumeurs, qui concernent plutôt les décisions stratégiques de l’entreprise. Mais c’est aussi utiliser ces informations à bon escient, et c’est là que la tâche se complique.
Comme Camille, Anaïs Albanese, DRH de Sebach France, ne cache pas l'intérêt qu’elle porte à ces discussions informelles, souvent nées autour de la machine à café. “Rien que dans le “bonjour” que nous adressent les collaborateurs, on peut savoir si ça va ou non”, lance-t-elle.
Mais elle va plus loin : dans l’entreprise, la DRH s’appuie sur un réseau d’informateurs de confiance et entretient des relations privilégiées avec les élus du CSE. “Ces personnes m’aident à décortiquer ce qui se passe dans la société. C’est une forme de baromètre social pour moi”, confie-t-elle.
Un signal qui en dit long
Bref, il n’existe pas l’ombre d’un doute : les RH et managers prêtent une oreille attentive aux ragots, car ils sont souvent les premiers signaux d’un climat social tendu. “Lors de changements stratégiques, comme une grosse arrivée d’effectifs, une fusion ou encore un changement de direction, on observe que les rumeurs se multiplient”, relate Camille Darde.
Et Anaïs Albanese de prévenir : “Je n'accorde que peu de crédit aux rumeurs, je ne fonde pas mes décisions sur celles-ci. En revanche, quand elles deviennent plus nombreuses et prennent le pas sur la communication officielle, c’est le signe d’une carence”.
Les potins jouent aussi un rôle crucial dans des situations sensibles comme un management toxique ou encore une situation de harcèlement. “Une personne peut mentir, mais quand 5 ou 6 personnes évoquent le sujet, c’est différent”, poursuit la DRH de Sebach. Dans ce cas, tout en préservant la confidentialité, il est nécessaire d’aller chercher les perceptions du terrain auprès des personnes concernées.
Le feedback 360° : le devoir de vérité
Pour Camille Darde, le feedback 360° peut s’avérer précieux pour corroborer une rumeur, ou au contraire l’invalider. “Si une rumeur est confirmée par plusieurs équipes, elle a encore plus de crédit. Il faut toutefois rester vigilant face aux dynamiques de groupe, comme les anciens contre les nouveaux, qui sont très naturelles”, affirme-t-elle.
Dans tous les cas, les ragots font partie intégrante de la vie d’une entreprise. “Il ne faut surtout pas les interdire, car ils sont un vecteur puissant de lien entre les individus. Il est naturel de chercher à comprendre son environnement et à se rapprocher des autres par ce biais”, analyse Allison Howell, Vice-Présidente chargée de l’innovation des marchés chez Hogan Assessments.
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Managers : attention à l’effet boomerang
Cette propension naturelle des humains à… bitcher, peut mener les managers de proximité à expérimenter des situations délicates. Certains peuvent être tentés de participer aux ragots pour mieux s’intégrer. “Les managers doivent prêter attention aux ragots pour mesurer l’engagement des collaborateurs, mais sans se laisser embarquer dans une spirale négative. Cela peut les décrédibiliser, car ils sont les représentants de l’entreprise”, poursuit notre interviewée.
Bref, accepter l’existence des ragots ne signifie pas tout tolérer. Il faut fixer des limites pour prévenir le harcèlement, les propos diffamatoires ou discriminatoires. “Il est indispensable de mettre en place des dispositifs de signalement et de promouvoir une communication ouverte, condition essentielle à la sécurité psychologique”, ajoute-t-elle.
Favoriser le dialogue direct
Encourager le feedback direct plutôt que les communications en mode sous-marin, c’est justement le prochain chantier RH chez Elmy qui énonce la transparence comme l’une de ses valeurs cardinales. “Nous tâchons de restaurer une culture du dialogue direct. Par exemple, si on n’est pas raccord avec le lancement d’un produit, il faut pouvoir l’exprimer”, soutient-elle.
Au final, bitcher ou ne pas bitcher, telle n’est pas la question. Mais écouter avec discernement la communication informelle peut aider à détecter des tensions, fluidifier les échanges ou encore mieux accompagner les transitions stratégiques. Les ragots sont là. Autant les comprendre, les canaliser, et parfois… s’en servir pour mieux manager.