société

La semaine de 4 jours, une mesure de justice sociale pour les cols bleus ne pouvant pas télétravailler ?

Depuis la pandémie, une fracture sociale s’est créée dans le monde de l’entreprise. D’un côté, les cols blancs, libres de télétravailler, du moins en partie. De l’autre, les cols bleus, pour qui cette flexibilité n’est pas possible. Mais la semaine de 4 jours pourrait changer la donne, se muant en une mesure de rééquilibrage face à cette inégalité, tout en représentant un nouveau levier d’attractivité pour des métiers en tension. Explications.


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Vous pensiez que le pionnier de la semaine de 4 jours était une boîte de la tech ? Erreur cher lecteur. Il s’agit d’Yprema, une entreprise spécialisée dans le recyclage de matériaux, qui a sauté le pas dès 1997 en faisant passer ses 49 collaborateurs à la semaine de 35H sur quatre jours, contre les 39H habituels (ce sont les lois Aubry de 1998 et 2000 qui fixent le passage à la semaine de 35H et l’apparition des RTT, ndlr). Mais pourquoi un tel choix ? En misant sur la polyvalence des postes, Yprema est parvenue à faire tourner encore davantage son site de production, passant de 39H à 43.75H. L’amplitude de l’accueil commercial a également été augmentée de 39H à 55H par semaine. Au bout du compte, Yprema a gagné un mois de production chaque année, ce qui lui a inspiré un nouveau slogan : Travaillez moins pour produire plus”.

Et la démonstration d’Yprema est loin d’être isolée. D’autres boîtes du secteur industriel ou encore du bâtiment lui ont emboîté le pas. De quoi contrer l’opinion des détracteurs de la semaine de 4 jours qui n’y voient qu’une énième mesure en faveur des cols blancs. L’an dernier, le patron d’une entreprise de plusieurs milliers de salariés nous confiait ainsi ses doutes sur le dispositif : “De mon point de vue, la semaine de 4 jours ne peut pas concerner tous les salariés car on ne peut pas leur demander d'être plus productifs pour compenser. Cela n’a pas de sens dans certains métiers. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une initiative réservée aux cols blancs qui sont proches du patron”.

“La semaine de 4 jours permet de lisser la hiérarchie”

Pourtant, la semaine de 4 jours semble faire des émules dans des secteurs traditionnels, à l’image de la restauration. Face aux difficultés de recrutement, certains établissements ont décidé de se lancer sur ce nouveau modèle. Au sein du restaurant étoilé l’Auberge du Vert Mont, les équipes travaillent désormais 43H concentrées sur quatre jours. 90% du personnel a accepté ce dispositif. D’après le chef Florent Ladeyn, interviewé dans le magazine Hôtellerie et restauration, voilà “l’une des clés du bien-être au travail”. Moins de maladies, d’accidents du travail et moins de turn-over : son bilan est plus que positif.

Certes, il faut être bien organisé sur le planning et juste accepter d’augmenter un peu sa masse salariale. Mais je préfère ça que de passer mon temps à faire du recrutement.” Plus intéressant encore, le chef explique que le système permet de “lisser les hiérarchies”. “Les managers sont à quatre jours, comme le reste des équipes. Chacun se doit de partager ses connaissances, d’expliquer son poste à celui qui le remplace. Les gens sont tous polyvalents. Cela demande plus de communication, ça fait des équipes plus soudées”.

“Un trait d’union entre les cols blancs et les cols bleus”

Dans le secteur de l’éco-rénovation, le groupe Acorus nous offre un autre exemple particulièrement révélateur. En janvier 2023, son antenne nantaise a testé le dispositif avant qu’il ne soit élargi à 80% du groupe le 1er mars 2024. Face aux difficultés de recrutement, la semaine de 4 jours était destinée à augmenter l’attractivité de l’entreprise, notamment parce que de nombreuses boîtes de construction sont fermées le vendredi.  “Mais ce qui nous a poussés à expérimenter en premier lieu, c’est l’envie d’innover sur notre modèle managérial, nous confie Maxime Gourlet, DRH. Avec la semaine de 4 jours, il s’agit d’accroître l’autonomie et la responsabilisation des collaborateurs qui sont tous garants du succès de la formule. “Pour que cela fonctionne, tout le monde doit revoir ses process et collaborer main dans la main pour travailler moins mais mieux”, insiste-t-il. En outre, il considère que la semaine de 4 jours représente un trait d’union entre les cols blancs et les cols bleus, embarqués dans la même aventure.

À l’origine, les cols blancs, qui représentent 30% des effectifs, se montraient moins enthousiastes à l’idée de mettre en place la semaine de 4 jours (55% d’opinion positive, contre 98% pour les cols bleus). Mais après un an d’expérimentation, 100% des collaborateurs de l’entité nantaise ont voté oui pour faire perdurer le dispositif. Il faut dire que la satisfaction des clients a augmenté, notamment sous l’effet de la hausse de la productivité des équipes, permise par une baisse du taux d’absentéisme de petite et moyenne durée, ainsi qu’une diminution du turn-over. “Et puis, en allongeant un peu la durée de travail chaque jour, on supprime certains temps incompressibles comme les trajets ou la mise en place du chantier”, poursuit le DRH. De plus, et cela vaut pour tous les employés, la semaine de 4 jours libère de la charge mentale en permettant au collaborateur de disposer d’un jour entier pour se dédier à sa prise de rendez-vous médicaux, son administratif etc.

Au final, Maxime Gourlet en est plus que convaincu : oui, la semaine de 4 jours est bénéfique pour tous les salariés, qu’ils soient cols blancs ou cols bleus, mais c’est aussi une formidable mesure de justice sociale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le dispositif pourrait continuer à s’étendre dans des secteurs d’ordinaire traditionnels, permettant aux salariés de retrouver du sens tout en s’engageant au service du collectif.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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