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Télétravail : les RH sont-ils les grands oubliés ?

Les services RH sont les instigateurs des politiques de télétravail et pourtant, se sentent-ils vraiment libres comme l’air de travailler depuis leur canapé ? Trois professionnelles témoignent.


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C’est un paradoxe : les RH édictent les politiques de télétravail, mais, l’adage “ce sont les cordonniers les plus mal chaussés” leur sied à merveille. “Il y a un peu cette idée que le télétravail, c’est super, mais pas pour les RH. C’est ce que j’ai pu vivre personnellement quand j’étais en interne, mais aussi ce que j’ai entendu de la bouche d’autres pairs RH”, nous confie Léna Basile, DRH externalisée.

En Belgique, Laura Michel, ex-DRH et fondatrice de sa propre société de coaching, dresse le même constat : la plupart de ses comparses du monde des RH ne travaillent pas plus d’une journée par semaine en télétravail, contre 2 ou 3 pour le commun des mortels.

Bien sûr, le constat est différent selon l’univers dans lequel le RH exerce : dans le monde des startups, il est beaucoup plus courant de voir un RH présent seulement 2 ou 3 jours sur site par semaine. “Quand j’étais en poste chez Cafeyn en tant que Chief People Officer, c’était mon équilibre”, rapporte Lou Pratali, HR mentor et coach. Dans cette scale-up, chacun est libre de s’organiser comme bon lui semble pour atteindre ses objectifs, RH ou pas RH.

“Le présentiel est essentiel pour l’informel”

Certaines cultures d’entreprise sont donc plus propices à l’instauration du télétravail pour les RH, mais jusqu’où poussent-elles le curseur ? “Cela existe, mais je ne crois pas vraiment en la fonction de DRH en full remote”, lance Léna Basile. La raison, invoquée par toutes nos interviewées, est que la fonction RH est foncièrement humaine. “Historiquement, notre bureau est censé être ouvert et pouvoir accueillir tout le monde, poursuit notre interviewée. Cela signifie-t-il donc que les RH sont vouées à rester au bureau ?

Pour nos interlocutrices, il se passe effectivement beaucoup de choses en présentiel qui ne peuvent pas se déporter dans le digital. “C’est souvent à la machine à café que l’on entend les potins, que les langues se délient et qu’on peut clarifier des sujets clefs en informel. Surtout, le langage non verbal offre de précieux indicateurs aux RH pour détecter un collaborateur en difficulté”, souligne Lou Pratali.

Pour Léna Basile, il est certain que la présence en physique est essentielle pour créer davantage de liens avec la direction, les collaborateurs, les partenaires sociaux. “Beaucoup de choses se jouent dans l’informel. Et, en tant que DRH externalisée, je ne peux que confirmer l’importance d’assurer un minimum de présence en physique sous peine de ne pas exister”, confie-t-elle. Laura Michel renchérit : “j’ai le sentiment de devoir être toujours accessible pour les collaborateurs qui me voient comme une personne de confiance”.

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“Je trouve cela parfois injuste”

Mais alors que leur bureau est aussi (parfois) celui des plaintes, nos trois RH ne cachent pas leur fatigue émotionnelle liée au présentiel : “nous souffrons de notre hyperdisponibilité qui est inhérente à notre profession”, souligne Lou Pratali. Une hyperdisponibilité d’autant plus compliquée que les RH ont de plus en plus de tâches annexes à gérer.

À ce titre, le télétravail serait donc bienvenu pour les aider à se préserver en prenant un peu de recul et en pouvant avancer sur leurs sujets de fond. “Les RH peuvent ressentir une forme d’injustice à être la dernière roue du carrosse. On a l’impression que l’on n’est pas en droit de réclamer quoi que ce soit par devoir d’exemplarité. Mais c’est une posture qui fait aussi partie du job”, nuance Léna Basile.

Ce devoir d’exemplarité sous-entend que les RH n'assument pas leur fonction en distanciel. Mais tout pourrait changer : “On a accepté que les managers puissent eux aussi faire du télétravail. Le même mouvement devrait s'observer à l’avenir pour les RH”, poursuit-elle.

Le télétravail… pour plus de proximité ?

Au fond, l’enjeu est de casser les habitudes et les croyances afin de démontrer que qui dit télétravail, ne dit pas glandouille, et que cela est valable pour tous les profils, y compris les RH ! Avec l’évolution des cultures d’entreprise, mais surtout l’arrivée de nouveaux outils de communication, les RH devraient pouvoir de plus en plus bénéficier du télétravail. “D’autant qu’il faut soulever que certains profils, plus timides ou discrets, sont finalement plus enclins à parler à leur DRH en visio qu’en présentiel. C’est pourquoi le mode hybride me semble parfaitement adapté pour répondre aux attentes des différents salariés”, affirme Lou Pratali.

Alors, quel est le bon dosage ? Faire moitié-moitié ? Cela semble être le monde rêvé, “mais ce n’est pas forcément évident quand on travaille dans une petite entreprise et qu’on est le seul représentant des RH”, pointe Laura Michel. En fait, tout dépend de l’actualité de l’entreprise, du climat social, de la qualité de la relation avec les interlocuteurs, des canaux de communication auxquels les collaborateurs sont habitués…

N’oublions pas enfin que pour faire bouger les lignes, les RH doivent aussi jouer leur partition en montrant l’exemple, dans l’autre sens. “J’ai moi-même toujours été tiraillée entre mon désir de me montrer présente physiquement pour les salarié.e.s, mais aussi de témoigner d’une forme d’exemplarité envers les managers pour leur prouver qu’on peut être à 100% dans son travail, tout en n’étant pas là tous les jours au bureau”, pointe Laura Michel.

Une difficile équation que la professionnelle a résolu grâce à une organisation millimétrée de son agenda, permettant d’assurer des plages de disponibilités pour les collaborateurs, en présentiel ou en distanciel. “En tant que jeune maman, je pense qu’il est aussi de mon devoir de montrer que l’on peut performer dans son travail tout en ménageant son équilibre pro et perso”, conclut-elle.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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