société

Le look moche au travail, outil de rébellion chez la jeunesse chinoise

Sapés comme jamais au taf, mais pour quoi faire ? La jeunesse chinoise a tranché : flemme de bien s’habiller pour aller bosser. Derrière une énième trend racoleuse devenue virale sur les réseaux sociaux, se cache en réalité le symptôme d’une Gen Z qui ne va pas très bien…


3 min
10 juillet 2024par Léa François

Jogging, claquettes, voire carrément pyjama : qui n’a jamais rêvé de venir au boulot dans la tenue la plus décontractée qui soit ? Et surtout, nous les meufs, entre nos syndromes prémenstruels de l’espace et nos douleurs de règles qui nous tordent le bide facile deux semaines par mois ?

Eh bien, il y a un peuple qui a décidé de casser les codes vestimentaires dans le monde professionnel : les Chinois‧es. Et derrière ce qui pourrait passer pour un geste burlesque transparait une contestation silencieuse qui en dit long sur le rapport au travail de la jeune génération.

Sapé‧e comme un pied

Eh oui, à l’heure où le pretty privilege fait rage, encore et toujours, d’autres choisissent volontairement de s’enlaidir pour venir bosser. Et ces autres, ce sont de jeunes actifs‧ves chinois‧es, et plus particulièrement des femmes.

Une jeune salariée, Kendou S de son pseudo, a lancé la tendance sur Douyin – le TikTok chinois – à travers une vidéo devenue virale. Elle y partage les critiques de son manager, face à ses tenues jugées “répugnantes, qui lui intime de mieux s’habiller "pour préserver l'image de l'entreprise".

La jeune femme a ainsi inspiré le hashtag #GrossOutfitAtWork, qu’on pourrait traduire en bon français par “des tenues dégueulasses pour le travail”. Le projet est clair.

Depuis, la trend s’est popularisée sur les réseaux sociaux chinois, et de nombreuses internautes s’amusent à s’affubler des tenues les plus comfy – et les moins seyantes – pour rejoindre le mouvement, à base de pyjamas pilou-pilou, claquettes-chaussettes, survet’ dépareillés et autres panoplies cocooning.

Une mode qui a déferlé sur la toile depuis février et a impacté le monde bien réel du travail en provoquant la colère de plus d’un boss, rapporte le média Watson.

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Mon look est assorti à mon salaire

Mais derrière cette tendance en apparence dérisoire, se cache un geste de contestation silencieux : celui de dénoncer un système professionnel précaire. Ainsi, en description de ces vidéos, on peut lire : “Mon look est assorti à mon salaire” ou encore “Gagner si peu, avec des collègues affreux, qu’attendez-vous de ma tenue ?”.

Un style négligé pour une Gen Z négligée : les jeunes chinois‧es évoluent dans un contexte post crise économique qui affecte leurs perspectives sur le marché du travail, en témoignent les chiffres de décembre 2023 qui estimait le taux de chômage des 16-24 ans à près de 15%, rapporte La Tribune.

Difficulté à trouver un emploi, conditions de travail précaires, âge d’or d’une prospérité perpétuelle révolu… Autant de symptômes qui engourdissent la motivation de la jeune génération, déterminée à ne pas se donner autant que leurs ainé‧es.

La tendance “tang ping” ou “rester allongé”

Cette tendance à se jouer de l’entreprise de manière passive s’inscrit dans un mouvement plus large qui a émergé au cours de l’année 2021 : la trend “tang ping”, que l’on peut traduire par “rester à plat” ou “rester allongé”. Un vent d’immobilisme dans un monde professionnel qui promeut la course à la productivité et au profit.

Ce phénomène contre-culturel traduit un sentiment de défiance vis-à-vis du monde de l’entreprise, une volonté de ne plus se soumettre à une culture de l’effort héritée des précédentes générations. “Le «Tang ping» s'oppose entre autres au rythme de travail «996», qui consiste à travailler de 9h du matin à 9h du soir, six jours par semaine” explique le média Slate.

Plus largement, c’est le désir de ne plus contribuer à une société capitaliste dans laquelle la jeune génération ne se reconnait plus qui aboutit à cet éloge de la paresse, analyse notre consœur d’Usbek & Rica.

Que l’on trouve cette tendance insensée ou audacieuse, elle réaffirme à quel point le vêtement, et la mode au sens large, est et a toujours été une modalité d’expression identitaire et sociale.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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