société

Quand le tatouage de reconstruction aide les femmes à revenir à la vie active après un cancer

Le cancer du sein laisse des traces visibles, et d’autres invisibles. Pour apprivoiser ce nouveau corps et retrouver le chemin de la vie active, l’association Sœurs d’encre mise sur le tatouage de reconstruction.


8 min
29 février 2024par Léa François

Certain‧es viennent au tatouage pour styliser leur peau, d’autres pour y graver dans la chair des symboles qu’iels chérissent. Et puis quelques-unes y ont recours pour se réapproprier un corps meurtri, par un cancer du sein ou une maladie chronique. Ça, c’est rendu possible grâce à l’association Sœurs d’encre qui propose à ces guerrières un tatouage artistique de reconstruction, mais aussi un accompagnement vers une réinsertion sociale et professionnelle.

On a échangé avec Nathalie Kaïd, fondatrice de l’association, pour comprendre comment quelques gouttes d’encre peuvent permettre à des femmes de guérir intérieurement et retrouver le chemin de la vie active.

Rose Tattoo, l'évènement qui permet aux femmes de redresser le buste

J’ai fait le 1er Rose Tattoo en 2016, sur une semaine, pendant le mois d’Octobre Rose. Je savais que le tatouage avait un coût, et que les femmes après cancer sont souvent précarisées. Je voulais leur offrir le meilleur et qu’elles puissent en bénéficier gracieusement. La première année, avec sept tatoueuses, on a tatoué neuf femmes” se remémore Nathalie Kaïd, photographe et fondatrice de l’association Sœurs d’encre.

L’idée derrière ces tatouages, c’est de permettre aux femmes en rémission de reprendre possession de leur corps, parfois après des échecs de reconstructions classiques que sont la prothèse, le lambeau dorsal ou le DIEP. Fascinée par le buste féminin, inspirée par le Pink Day américain – journée où des tatoueurs‧euses ouvrent leurs shops bénévolement – Nathalie Kaïd se rapproche de l'association RoseUp pour lancer ce 1er évènement Rose Tattoo.

Photo : évènement Rose tattoo au salon @le.gamin.a.dix.doigts

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Une initiative accompagnée dès le début par des professionnel‧les de santé : “J’avais appelé l’institut Bergonié (ndlr, un centre régional de lutte contre le cancer) parce que je voulais que cette technique soit tout de suite encadrée par le milieu médical. Derrière ces cicatrices, il y a toute une chirurgie, de la radiothérapie. Les tissus sont fragilisés, brûlés, il y a des traitements, donc on ne peut pas faire n’importe quoi”.

Un premier évènement comme déclic d’une nouvelle aventure : un an plus tard naissait l’association Sœurs d’Encre. Rien qu’en 2023, ce sont ainsi 80 tatoueuses qui ont prêté leur savoir-faire lors de 3 évènements Rose Tattoo installés à Colmar, Paris et Bordeaux, pour offrir une centaine de tatouages sur cicatrices post cancer du sein.

Le combat de l’association Sœurs d’Encre

Au-delà d’offrir quelques tatouages via les évènements Rose Tattoo, l’association Sœurs d’Encre ambitionne de “faire reconnaitre le tatouage comme une vraie reconstruction au même titre que la chirurgie reconstructive” explique Nathalie Kaïd.

Nous, on est vraiment engagées sur le fait de faire accepter au milieu médical, à la CPAM et autres mutuelles, que cette reconstruction a la même valeur qu’une reconstruction chirurgicale” poursuit-elle. Le principe ? Que cette option soit proposée aux femmes au moment-même où elles vont se faire opérer, et qu’elle soit prise en charge financièrement.

Photo : tatoueuse @odretattoo

Démocratiser cette reconstruction par le tatouage, c’est offrir une option de plus à des femmes qui font parfois face à de multiples échecs via les méthodes chirurgicales classiques, et leur permettre de reprendre confiance en elles. “Quand tu retrouves ton buste, que tu peux te voir de nouveau, tu te tiens différemment déjà au niveau de la posture. Si tu es mieux dans ton corps, et mieux dans ta tête, tu as moins de traitements d’antidépresseurs et autres, donc tu as une capacité différente et tu retrouves une énergie.” Une énergie au service d’un retour à la vie active.

Des dispositifs pour accompagner la réinsertion sociale et professionnelle

Renouer avec son corps, se reconnecter à soi, c’est la première étape pour se reconnecter au monde. Pour autant, il en reste bien d’autres avant de pouvoir retrouver sa vie d’avant cancer. C’est dans une démarche d’accompagnement holistique que Sœurs d’Encre a mis en place, outre les tatouages de reconstruction, des dispositifs permettant à ces femmes de re-sociabiliser et reprendre contact avec le monde de l’entreprise.

Pour pallier le manque d’accompagnement au moment de la rémission d’un cancer, l’association a mis en place le dispositif de rétablissement “Et après ?!”, un dispositif inclusif de réinsertion socio-professionnelle. “On fait venir les femmes en immersion au cœur d’un atelier de création d’upcycling, l’atelier d’éco solidaire. Elles font de la création de mobilier avec nous, et en même temps, elles se re-sociabilisent, elles reprennent des horaires, elles voient leur fatigabilité après les traitements” explique Nathalie Kaïd, qui est aussi directrice de création de l’atelier.

On travaille avec Cap Emploi, Pôle Emploi, l’AGEFIPH, des structures sur le handicap, de sorte qu’après, les femmes sont prises en charge par d’autres dispositifs jusqu’à la reprise du travail ou une reconversion professionnelle” poursuit-elle.

Photo : tatoueuse @heliumlmtattoo

Mais les femmes atteintes par la maladie ne sont pas les seules à devoir être accompagnées pour faciliter leur retour à la vie active : les entreprises le doivent également. C’est en constatant un grand vide dans le monde professionnel que l’association a décidé de lancer les ateliers BoNéné. “On met des entreprises, des RH, autour de la table avec nous, on leur met un soutien-gorge entre les mains qu’on leur fait customiser. Et pendant ce temps, des femmes viennent échanger sur leur retour en entreprise, comment elles l’ont vécu, ce qui leur a manqué” développe Nathalie Kaïd.

Quand on est occupé avec ses mains, c’est beaucoup plus simple d’interagir avec la personne qui a vécu la maladie” explique-t-elle. Des temps de partage qui permettent aussi aux chefs d’entreprise de mieux savoir comment réagir à l’annonce d’un cancer. Au total, ce sont plus d’une trentaine d’entreprises qui ont été accompagnées en 1 an.

La nécessité de sensibiliser sur le cancer en entreprise

Pour Nathalie Kaïd, il est de la responsabilité des entreprises de lever le tabou sur ce sujet et d’agir. “L’entreprise parle, mais en fait peu. Le mot cancer fait encore peur” pointe-t-elle. Une problématique à mettre sur la table d’autant plus que la réalité du cancer a évolué : “Avant, on avait des cancers entre 50 et 60 ans, donc les gens ne reprenaient pas forcément leur activité après. Maintenant, on a des cancers avant 30 ou 40 ans, donc on ne peut pas arrêter et attendre la retraite. C’est là où il faut que l’entreprise réfléchisse : il y aura des cancers, des maladies, des choses qui vont altérer la vie de l’entreprise – et déjà surtout la vie de la personne” alerte-t-elle.

Photo : tatoueuse @Hannah_graciano

Dès lors, comment mieux prendre en charge ce sujet en interne ? Pour la fondatrice de Sœurs d’Encre, la priorité, c’est d’aider la personne malade à ne pas se couper du monde professionnel. “Quand c’est possible pour la personne malade, je pense qu’il faut garder le lien avec l’entreprise. Même une journée par semaine, en télétravail, et il y a plein de postes qui peuvent être adaptés. Il faut laisser les personnes qui ont envie de continuer à travailler, et ne pas dire ‘non, ne vous inquiétez pas' etc. Si elle en a envie, c’est un fil qui va maintenir la personne dans sa reprise”.

Autre piste d’amélioration : l’anticipation. “Quand la personne va partir en arrêt maladie, il y a un laps de temps pour préparer, organiser le suivi des dossiers, etc. Ça doit venir des deux côtés et ça dépend de la relation entre l’entreprise et son salarié”.

Enfin, rémission ne rime pas avec absolue guérison. “Il faut aussi que l’entreprise sache que, quand la personne va reprendre, ce ne sera pas la même personne, amorce Nathalie Kaïd. Reprendre une vie ordinaire, c’est compliqué parce que, souvent, les traitements altèrent les neurones. Il y a de la fatigabilité et il faut en tenir compte. En général, l’entreprise et les collègues vont faire attention au début, pendant un mois, deux mois, puis vont se dire que la personne exagère, qu’elle peut refaire toutes les taches, qu’on l’a assez aidée, qu’elle doit se bouger”.

Responsabilisation, communication et sensibilisation, tels semblent être les maitres-mots pour que la vie professionnelle persiste, au-delà de la maladie.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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