société

Futur du travail : a-t-on trop vite enterré le métaverse ?

Il y a deux ans, on ne parlait que de ça. Le métaverse allait tout chambouler jusqu’à transformer la vie de bureau en une partie géante de Sims. Ça, c’était avant que ne débarque la tonitruante IA, qui occupe depuis le devant de la scène. Mais les récentes actualités d’Apple et de Meta pourraient nous souffler que le métaverse n’a pas dit son dernier mot.


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En seulement quelques heures, il s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires, laissant sur le carreau des milliers d’Apple addicts qui n’ont pas pu se le procurer à temps. L’objet du désir ? “Vision pro”, le premier casque de réalité virtuelle mixte vendu, cramponnez-vous bien, 3500 dollars. Or, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que lorsque le géant à la pomme lance un tel produit, ce n’est pas anodin. “Les 20 dernières années, Apple n’a pas inventé le smartphone ou encore la montre connectée. En revanche, la marque a la capacité de démocratiser une innovation sur le marché”, analyse Morgane Soulier, consultante en prospective et stratégie numérique, et autrice de Metaverse, comprendre le monde qui vient (Grasset).

Ne vous détrompez pas : l’idée pour Apple n’est pas encore que le grand public achète ce fameux casque, mais d’apporter une première pierre à l’édifice pour que se développent des applications, comme cela s’est produit avec l’Iphone. “On a trop vite enterré le métaverse parce que la technologie et le marché n’étaient pas prêts. C’est pareil pour ce casque, c’est une première version. Mais je suis convaincue que les réalités virtuelles et augmentées vont transformer nos vies”, poursuit-elle.

L’ancêtre du métaverse a plus de 10 ans

Ce qu’il faut également comprendre, c’est que le métaverse n’est pas une actualité sortie du chapeau. En 2010, Facebook – qui vient juste de fêter son 20ème anniversaire – rachetait Oculus, le pionnier en matière de casque de réalité virtuelle. Depuis, le géant rebaptisé Meta a également investi dans RayBan afin de créer un dispositif mixte, où le virtuel vient s'incruster dans le réel. “Je pense que d'ici quelques années, ce type de lunettes remplaceront le smartphone”, avance Morgane Soulier.

Dans le sud de la France, à Nice plus exactement, Kevin Soler a, lui aussi, un avis bien tranché sur le métaverse. Cet ex-employé d’une branche de Google en Australie a fondé la société Virteem… voilà déjà 12 ans ! Sans jamais lever de fonds (ce qui démontre que l’entrepreneur a eu une croissance très organique), il est parvenu à atteindre un chiffre d’affaires de plusieurs millions, et compte près de 3500 clients parmi lesquels une forte proportion de grands groupes.

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Faire mieux qu’une réunion sur Teams

Il y a 10 ans, on ne parlait pas encore de métaverse, mais la nouveauté, c’était la possibilité de visiter virtuellement des lieux, comme avec Google Street View. Une innovation dont s’est rapidement saisi le marché immobilier, les hôtels et plus globalement le tourisme. En 2017, l’industrie s’est ensuite engouffrée dans cette innovation en virtualisant ses chaînes de production. Mais c’est durant la pandémie que tout s’est accéléré avec la multiplication des demandes issues du milieu de l’éducation pour organiser des journées portes ouvertes virtuelles. “Pendant plus de 2 ans, cela a représenté près de 80% de notre CA”, affirme le CEO de Virteem.

Dans le même temps, alors que le télétravail se répand partout, Facebook devient Meta et lance en 2021 Horizon Works, la première brique du métaverse de Facebook. Cet outil de réunion à distance offre entre autres une possibilité de présence en 3D, l’optimisation de l’interactivité et du partage de documents. “Il s’agissait de faire mieux qu’une réunion Teams pour embarquer le collaborateur dans un monde virtuel”, pointe Kevin Soler. “Ce qui est intéressant avec ce type d’outil, c’est que l’on peut adopter une bonne posture pour le corps, à la différence d’une visio classique, car on n’est pas obligé de pencher la tête vers le bas”, explique Morgane Soulier.

Il a fallu passer par le Minitel avant d’avoir l’ordinateur

Les espaces de travail collaboratif en ligne sont ce que l’on appelle du métaverse lourd. Il ne s’agit plus simplement d’un site internet en version augmentée (le métaverse light), mais d’un site permettant une immersion dans un monde virtuel. Le métaverse lourd n’exige pas nécessairement l’usage d’un casque de réalité virtuelle, en revanche, il requiert une excellente connexion internet et une bonne carte graphique sur l’ordinateur. “Or, la plupart des ordinateurs professionnels ne jouissent pas d’une telle puissance, et la fibre n’a pas été bien déployée partout en France. Or, le fait que le “hardware” ne suive pas le software a constitué un vrai frein au déploiement du métaverse lourd, analyse Kevin Soler.

Cette problématique est notamment ce qui a sanctionné l’avenir médiatique du métaverse : après en avoir parlé de façon excessive, on n’a pas laissé la technologie se démocratiser. “N’oublions pas qu’il nous a fallu passer par le Minitel avant d’avoir l’ordinateur”, rappelle le CEO de Virteem. Autrement dit, même si les technologies existent déjà, il faudra encore consolider les usages à travers le métaverse light, le temps aussi que le métaverse lourd devienne plus facilement accessible et moins énergivore. Mais le fait que l’on prenne plus de temps que nos confrères américains pour adopter ce nouvel usage ne veut pas dire qu’on n’y viendra jamais.

De vraies opportunités pour les ressources humaines

Il faut aussi comprendre que le métaverse, bien qu’on l’associe à la planète web 3 et aux cryptomonnaies, n’a finalement rien à voir. De nombreuses entreprises l’utilisent déjà de manière très pragmatique dans différents process RH.

  • Le recrutement : le métaverse permet d’étendre le bassin géographique de candidats en les immergeant dans un univers virtuel reprenant les codes de l’entreprise. C’est le cas par exemple de Carrefour qui a fait passer des entretiens d’embauche sur un métaverse. “Une bonne manière aussi d’attirer des profils très tech, soit dit en passant”, souligne Morgane Soulier
  • L’onboarding : parce que les collaborateurs ne sont pas forcément disponibles ou présents le jour de l’arrivée d’un nouveau salarié, l’onboarding dans le métaverse se développe bien. “C’est une forte demande chez nos clients. On a eu par exemple le cas d’Amadeus qui nous a fait reproduire ses immenses locaux permettant au collaborateur de visualiser sa salle de réunion, sachant qu’il lui faut sinon entre 6 à 8 mois pour se repérer”, illustre Kevin Soler.
  • La mobilité géographique et interne : plutôt que de perdre un talent, on va encourager sa mobilité interne en lui proposant par exemple d’aller visiter une business unit qu’il ne connait pas pour comprendre ses enjeux, process et découvrir les personnes qui y travaillent. Un projet que Virteem a par exemple mené pour Egis.
  • La formation : ici, le champ des possibles est infini. L’exemple le plus connu est celui des chirurgiens qui répètent leurs gestes avant une opération. De même, Renault ou encore Alstom ont déjà formé leur personnel en amont sur les chaînes de production grâce à la réalité virtuelle.
  • La QSE : il s’agit par exemple d’éviter que le personnel ait un accident du travail en faisant en sorte qu’il ait bien retenu les procédures de sécurité. Des entreprises comme RATP, Eiffage ou la SNCF utilisent le métaverse en ce sens.
💡 Des chiffres bluffants qui expliquent pourquoi le métaverse est pertinent :
  • Lorsqu’on lit un contenu de type PDF sur un site traditionnel, on en retient 10% pendant 2 semaines. Quand on passe sur du 360° ou du métaverse, c’est 75 à 100% de rétention pour une durée de plus d’un an.
  • De même, on observe que le temps moyen passé sur un site traditionnel est de 1,30 minutes, contre 5 minutes sur un métaverse. Le taux de rebond est également de 4% (très faible) contre 55 à 60% pour un site classique.
  • Le taux de conversion est de 5 à 10% pour un métaverse light, contre 1% pour un site normal.

N’enterrons pas le métaverse mort-vivant !

Ces chiffres nous prouvent à quel point le métaverse peut être pertinent en dépit des critiques qui sont formulées à son égard, en raison notamment de projets immatures qui ont “planté”. Les investissements s’apprécieront sur le long terme, d’ici 2025-2030”, martèle Morgane Soulier. De son côté, Kevin Soler l’assure : les usages sont déjà bel et bien là, même si de nombreuses entreprises sont encore fébriles sur la manière dont elles souhaitent investir et déployer cette technologie.

Une chose est sûre cependant, le métaverse ne risque pas d’enterrer le bureau traditionnel à l’heure où le présentiel revient en force, mais il va certainement trouver de nombreux usages dans la sphère RH. Comme toujours, il ne faut pas tout voir en clair-obscur, les évolutions se feront par poussées !

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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