Ils travaillent dans le secteur équestre : “Le cheval est un collaborateur comme les autres”

Si pour bon nombre de passionnés d’équitation, le cheval est avant tout un compagnon de loisirs, pour les professionnels qui évoluent dans ce secteur, il est un partenaire dont il faut prendre soin comme le ferait un employeur avec son salarié. Et si le cheval était un collaborateur comme les autres ?
L’un a récemment décroché la médaille de bronze par équipe durant l'épreuve de saut d’obstacles aux JO de Paris, l’autre est propriétaire d’un centre équestre nouvelle génération. Tous deux nous confient leur quotidien avec ces êtres qui sont tout à la fois leurs compagnons de vie et leurs partenaires dans leur vie professionnelle. Comment les préparent-ils à leur vie de cheval d’écurie ou de haut niveau ? Olivier Perreau et Jeanne Quinio nous racontent leur quotidien.
Olivier Perreau : “Plus que des amis, des membres de la famille”
Si vous étiez devant votre écran en juillet dernier, peut-être avez-vous vibré avec lui : réserviste de l’équipe de France, Olivier Perreau a pu finalement monter sur scène et contribuer à la médaille de bronze décrochée lors de l’épreuve de saut d’obstacles. La recette du succès pour ce cavalier de tout juste 38 ans ? “Connaître parfaitement les qualités de son cheval, s’assurer de son état de forme, et surtout, travailler sur la confiance du couple”. Car dans ce sport pas franchement comme les autres, le cheval est le premier sportif.
Amener un équidé à un tel niveau ne se fait pas du jour au lendemain. Déjà, les chevaux sont scrupuleusement sélectionnés dès la phase de reproduction, puis il faut des années avant de pouvoir en faire des athlètes de haut niveau. En tant qu’éleveur, Olivier Perreau a vu naître plusieurs de ces stars qui débutent le circuit jeunes chevaux à 4 ans avant d’enchaîner sur un circuit international qui leur est réservé à 7 ans, puis d’être parfaitement prêts pour le plus haut niveau vers l’âge de 10 ans. “Il faut veiller à ce qu’ils n’aient pas de mauvaises expériences, car le cheval est un animal qui a une très bonne mémoire. Il ne s’agit clairement pas d’un outil comme le serait une raquette de tennis sans états d’âme”, nous explique-t-il.
“C’est au cavalier de s’adapter à son cheval et pas l’inverse”
Avec l’évolution du niveau de soins accordé aux chevaux, du matériel et du confort des pistes, certains champions peuvent continuer à glaner de grands prix jusqu’à 18 ans. Balnéothérapie, ostéopathie, alimentation premium, maréchalerie… “Nos chevaux sont souvent bien mieux soignés que nous”, plaisante-t-il. Leur agenda est savamment pensé selon les objectifs fixés (les chevaux font entre 25 et 45 parcours par an en compétition selon leur profil).
Au quotidien, ils alternent entre des séances de stretching à la longe, du dressage, de l’obstacle et des balades pour leur mental, en plus de leurs sorties au paddock. “C’est au cavalier de s’adapter à l’équidé et ses besoins, et non pas l’inverse”. Lors des concours, chaque cheval a son propre rituel. Surtout, il est accompagné de son/sa groom qui prend soin de lui et le connaît par cœur. “Le groom, c’est un peu comme une nounou. C’est un allié essentiel car il va guetter le moindre signe d’inconfort chez le cheval en cas de changement de comportement”.
Quant aux cavaliers, il n’existe pas vraiment de limite d’âge : on retrouve souvent des jeunes de 20 ans concourir face à des séniors de plus de 60 ans. Pour parvenir à se maintenir à haut niveau, c’est donc tout un écosystème qu’il faut assurer, avec les coûts financiers que cela induit liés aux infrastructures, aux transports, à l’achat des chevaux… Certains cavaliers de haut niveau ne sont d’ailleurs pas propriétaires de leurs montures. “L’avantage quand on est propriétaire, c'est que l’on peut décider de l’avenir de son cheval. Par contre, il est clair que pour pouvoir poursuivre ma carrière à haut niveau, je dois aussi faire du commerce de chevaux en parallèle”.
“Pour certains chevaux, il est difficile de partir à la retraite”
Tout comme certains collaborateurs sont particulièrement engagés, certains chevaux se montrent particulièrement épanouis lorsqu’ils arrivent sur une piste de compétition. “Quand ils arrêtent leur carrière, cela peut être difficile à vivre pour eux. C’est pourquoi nous devons faire les choses de manière très progressive afin de préserver leur bien-être mental”.
Des chevaux qui sont très proches de l’homme et qui aiment que l’on s’occupe d’eux. De ce lien si unique découle une complicité qui a été très forte pour Olivier avec certains chevaux. “Je pense notamment à des juments qui m’ont tant donné qu’elles ne quitteront jamais mes écuries. Heureusement, c’est un attachement que je n’ai pas avec tous les chevaux sinon ce serait ingérable. Mais ce sont plus que des amies, ce sont des membres de la famille”.
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Jeanne, dirigeante de centre équestre : “Il faut savoir écouter leur nature profonde”
Installée dans l’Ain, non loin de la frontière suisse, Jeanne Quinio dirige le centre équestre Equitannaz. Née “dans les chevaux” selon l’expression consacrée, voilà plus de 20 ans qu’elle exerce dans le milieu, et 13 ans qu’elle dirige sa propre structure. Quand on lui demande si elle considère ses animaux comme un “outil de travail”, Jeanne nous répond qu’il s’agit plutôt de véritables “collaborateurs”. “Quand on donne des cours, il existe une triangulaire entre l’enseignant, le cavalier-élève et l’équidé. En outre, nous devons pouvoir compter sur nos chevaux pour que tout se passe bien. Une bonne ou mauvaise recrue dans une cavalerie d’école a une réelle incidence sur le fonctionnement de l’équipe”, nous explique-t-elle.
Tout comme un collaborateur au bon endroit peut exceller, il en va de même pour les chevaux, et vice versa. Comme tout manager qui se respecte, le propriétaire ou gérant d’écurie doit donc veiller sur ses chevaux comme il le ferait avec ses salariés : cela implique beaucoup de communication pour s’assurer de leur bien-être mental, des soins réguliers (alimentation adaptée, soin des pieds, adaptation du matériel), mais aussi l’aménagement de congés.
Et oui, un cheval a aussi besoin de congés payés et d’une diversification des activités ! “Chaque équidé a des besoins spécifiques. Il est essentiel de savoir les écouter et respecter leur nature profonde pour qu’ils demeurent motivés dans le travail. Ma casquette de comportementaliste équin m’aide à bien les observer, percevoir une démotivation ou encore l’émergence d’une douleur. Dans tous les cas, nous faisons en sorte que les chevaux ne travaillent pas plus de 7 ou 8h par semaine”.
Les chevaux, réceptacle de nos émotions
Parce qu’ils sont comme dotés d’un sixième sens, les chevaux ressentent toutes nos émotions, ce qui peut être particulièrement difficile à vivre pour ceux qui changent en permanence de cavalier. En une fraction de seconde, les chevaux sont capables de nous lire sans que nous ne prononcions un mot.
“En ce qui concerne les équidés qui évoluent en centre équestre, ce sont comme des chevaux d’auto-école qui doivent accueillir les ressentis des gens, accepter leurs erreurs, et adopter le bon comportement malgré des demandes pas toujours très claires. Cela exige d’eux un mélange subtil de solidité mentale et de grande empathie”, nous explique Jeanne.
Pour adoucir le quotidien de la cavalerie, Jeanne et son équipe s’évertuent donc à apprendre aux cavaliers à entrer paisiblement en contact avec les chevaux. “Quand une séance a été difficile pour un cheval, on s’applique à lui mettre un cavalier avec lequel il s’entend bien la fois suivante. Travailler son “montoir” dans ce sens-là est quelque chose qu’on apprend avec l’expérience”. Il est également indispensable que les équidés puissent se défouler après le travail en ruant dans les prés avec leurs congénères.
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Un savant équilibre financier
Durant la pandémie, certains centres équestres ont dû cesser leur activité en raison d’un équilibre financier déjà précaire. De plus, les chevaux sont devenus plus chers en raison d’un déficit de naissances avec la fermeture de nombreux élevages. Pour Jeanne, il s'agit donc d’un défi quotidien : offrir la meilleure qualité de service tout en assurant des revenus suffisants. “Pour ne pas être déficitaires et continuer à bien soigner nos chevaux, nous avons pris le parti d’augmenter nos tarifs. Tout cela est cohérent avec l’ère du temps : les gens ne veulent plus monter des chevaux mal entretenus. Et pour avoir des chevaux en bonne santé, il faut en prendre soin en prévention”.
Il y a encore peu, certaines pratiques qui nous semblent pourtant d’un autre monde étaient encore en vigueur, comme envoyer les chevaux à l’abattoir une fois leur carrière terminée. Aujourd’hui, la plupart des centres équestres les vendent au sommet de leur forme à des propriétaires, ou encore leur assurent une douce retraite dans des familles d’accueil ou associations spécialisées. “Nous avons aussi pensé à une caisse de retraite prise en charge dans nos tarifs afin de leur offrir une seconde vie dans les prés”.
Considérer le cheval comme un simple “outil” n’est donc plus socialement acceptable. “C’est avant tout un compagnon de vie et de travail”, conclut Jeanne.