société

Ils pourraient prendre leur retraite, mais continuent à travailler : pourquoi ?

L’une a 63 ans, l’autre 75 ans. Leur point commun ? Ils poursuivent leur activité professionnelle quand bien même, ils perçoivent leur retraite chaque fin de mois. Angoisse du vide ou tout simplement amour inconditionnel du travail, ils nous expliquent leurs motivations profondes.


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Patricia, 63 ans, psychiatre hospitalier et libéral : “Je n’ai pas envie d’être sur la touche”

“Il y a un an, j’ai fait le point avec mon conseiller financier. Je n’avais aucune idée d’où j’en étais au niveau de mes cotisations pour la retraite. Ayant eu trois enfants et ayant commencé à travailler jeune en tant qu’infirmière avant de devenir médecin, j’ai été surprise de voir que je pouvais déjà me mettre à la retraite (c’était avant la réforme). Mon conseiller m’a expliqué qu’il était plus intéressant pour moi de la prendre dès à présent.

Sauf que, cela a provoqué chez moi de vives angoisses, à tel point que pour le moment, je suis en cumul emploi retraite. Je continue à travailler à l’hôpital, mais j’ai été déclassée financièrement. Je gagne presque le même salaire que mes enfants qui sont internes. Je ne m’attendais pas à cela et je dois avouer que cela m’a blessée, mais j’ai décidé de continuer malgré tout. Aujourd’hui, je suis sur la sellette : si mon assistante souhaite prendre mon poste, je devrais lui céder.

“Être à l’hôpital, c’est aussi une manière de demeurer en contact avec la société”

Dans mon entourage, mes amis se demandent pourquoi je reste, pourquoi je ne préfère pas aller jouer au golf avec mes copines plutôt que de me lever à 6H30 et d’affronter les bouchons. J’ai encore du mal à répondre à cette question. Peut-être que le milieu hospitalier crée une forme d’addiction. Même si je vais finir par basculer vers le 100% libéral, le travail en équipe va me manquer.

Pourtant, au quotidien, je suis confrontée à des choses difficiles, comme des mères qui perdent leur bébé. Mais être à l’hôpital, c’est aussi une manière de demeurer en contact avec la société, de voir comment évolue le rapport au travail, à la parentalité. Je n’ai pas envie d’être sur la touche. J’ai également du mal à renoncer à mon statut de médecin. Je me dis que la vie est passée trop vite. Tout cela n’a rien de financier puisqu’en continuant à travailler, je fais une opération blanche, d’autant que mon mari, lui aussi médecin, gagne bien sa vie et continue à exercer dans un autre hôpital.

“Rien qu’à lui seul, le mot “retraite” m’angoisse”

Au fond, rien qu’à lui seul, le mot “retraite” m’angoisse. Pour moi, cela est associé à la vieillesse, à l’attente de la mort qui arrive. En dehors de personnalités comme Edgar Morin, peu de personnes de plus de 80 ans me font envie. Le travail est un pilier dans ma construction, mon éducation.

Pourtant, je m’intéresse à de nombreuses choses en dehors de ma vie professionnelle : je fais de la danse, du yoga, je voyage, je fais des expositions. Peut-être que je vais parvenir à décélérer peu à peu, d’autant que je viens d’apprendre que ma fille attendait un bébé. Mais pour l’heure, je me sens encore utile, et après l’hôpital, je souhaite poursuivre mon activité en libéral. Pour moi, la retraite est un vrai deuil à opérer, une fin à accepter”.

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Gabriel, 75 ans, architecte : “J’envisage de travailler jusqu’à ce que mort s'ensuive”

“J’ai cessé d’exercer en tant qu’Architecte des Bâtiments de France à 68 ans, c’était le maximum. Je l’ai fait pour des raisons financières, afin de percevoir ma retraite à taux plein, mais c’est loin d’être le seul facteur. Aujourd’hui encore, je continue à travailler en tant qu’architecte-conseil pour une municipalité, et j’exerce à mon compte.

Quand j’ai quitté mon poste d’ABF, j’ai traversé une période d’angoisse et de déprime. Comme Patricia qui a un statut de médecin et donc d’autorité, un certain prestige était associé à ma fonction. En soi, je n’ai jamais mis en avant le pouvoir conféré par ma profession, mais je savais qu’il était induit par ma position. Quitter ce statut social n’était clairement pas évident.

“L’étymologie du mot retraite : il vient du préfixe re, qui signifie “retour en arrière””

D’ailleurs, on peut se questionner sur l’étymologie du mot retraite : il vient du préfixe re, qui signifie “retour en arrière” et du latin trahere, “tirer, traîner, tracter”. En somme, cela signifie se mettre “en retrait de”, qu’il s’agisse de la société, de la vie active. Cela peut être désiré, quand on a un métier usant, ou alors si l’on pense à un moine désirant se retirer du monde pour se rapprocher de Dieu. Mais pour moi, c’était péjoratif.

La retraite signifiait non seulement perdre mon statut, mais aussi mon rôle dans la société, sachant que ma motivation première en tant qu’ABF était d’agir sur mon environnement pour contribuer à créer du beau. En continuant en tant qu'architecte-conseil, j’ai ajouté à cette quête d’idéal la notion d’aider les autres, posture que je mettais moins en exergue auparavant, sachant que statutairement, le rôle de l’ABF est de contrôler l’adéquation entre ce que projette de faire un porteur de projet et la sauvegarde de la qualité globale de notre environnement.

“Pourquoi est-ce qu’à 75 ans, je continue à travailler ?”

Mais j’élude la vraie question : pourquoi est-ce qu’à 75 ans, je continue à travailler ? Je pense que les ressorts sont certainement d’ordre psychologique. Je me demande ce que vaudrait ma vie si je tombais dans une forme d’oisiveté, sachant pourtant qu’on peut toujours remplir le vide (associatif, lecture, hobby, sport…).

Personnellement, la seule chose qui aurait pu mettre en sourdine ce besoin de créer est de me consacrer à la sauvegarde de la nature et de la vie animale qui a été ma passion depuis l’enfance. Mais je pense que je n’avais pas forcément les armes pour cela, ni la volonté réelle. Peut-être que mon besoin de sécurité me pousse à continuer de faire ce que je sais faire de mieux.

Dans mon entourage, on me demande souvent pourquoi je continue à travailler. Je réponds simplement que j’aime ça, et cite l’exemple de l’architecte Oscar Niemeyer, mort sur un chantier à l’âge de 106 ans. Mourir à la tâche pour le beau, pour le faire, c’est ce que je me souhaite aussi. Oui, j’ai sûrement peur du vide mais j’aime être dans la solitude du travail de l’artisan. Le statut d’auto-entrepreneur me confère la liberté de choisir mes projets (puisque je ne cotise que sur le chiffre réalisé) et de demeurer dans le plaisir. Alors, j’envisage de travailler jusqu’à ce que mort s’en suive !”

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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