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Peut-on enquêter sur un candidat ?

Prise des références sauvage, étude des réseaux sociaux d’un candidat… Des pratiques anecdotiques chez les recruteurs ? Pas si sûr. Mais peut-on légalement “enquêter” sur un candidat, et surtout à quelles fins ?


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Lorsqu’une entreprise recrute, elle souhaite naturellement minimiser sa prise de risques. Mais peut-elle le faire par tous les moyens ? Pour se renseigner sur un candidat en dehors du processus de recrutement, deux méthodes peuvent être employées. Prendre des références sur un candidat, ou encore tenter de mieux le cerner en regardant ses réseaux sociaux, comme ses tweets, commentaires sur LinkedIn, voire son compte TikTok ou Instagram s’il est ouvert.

Prise de référence sauvage : est-ce bien légal ?

D’un point de vue purement juridique, il est possible de demander à un candidat une personne à contacter pour prendre une référence. “En revanche, la prise de références sauvage est absolument interdite. C’est-à-dire de contacter un employeur actuel ou passé sans en informer le candidat”, pointe Caroline Diard, Professeure-associée au sein de TBS Education. Dans la vraie vie, environ un tiers des recruteurs ont recours à la prise de références sauvage. “Il est vrai que demander le contact d’une personne est quelque peu biaisé. Par exemple, si un doctorant donne le nom de son Directeur de thèse, cela n’a aucun intérêt pour le recruteur’’, pointe notre interlocutrice.

Ancienne DRH, Caroline Diard nous explique aussi que la prise de références sauvage peut engendrer des cas de conscience du côté de celui qui les donne. Elle se souvient notamment d’un cadre dirigeant sorti d’une entreprise dans laquelle elle a travaillé en raison de cas avérés de harcèlement moral. “Nous avions signé un accord de non-dénigrement commun. Mais quand l’un de mes comparses DRH m’a appelé pour donner mon avis sur lui, je me suis retrouvée dans l’impasse. J’ai énoncé les qualités de la personne mais j’ai aussi subtilement fait comprendre qu’humainement, cela s’était mal passé sans entrer dans les détails. Au final, il n’a pas été embauché”, poursuit-elle.

Pour Jessica Djeziri, Chief People Officer et associée chez Bloomays, la prise de références – sauvage ou non – est dépassée. “Il y a peu, un très bon post sur LinkedIn de l’École du recrutement faisait ce parallèle : imaginez si pendant un date, votre rendez-vous vous demandait à contacter votre ex”, lance-t-elle. Le problème étant qu’une personne qui peut sous-performer dans une entreprise peut s’avérer être excellente ailleurs. La DRH se souvient ainsi du cas d’une community manager dont la prise de référence s’était avérée négative (la personne en question était taxée d’avoir un côté “syndicaliste”). Au final, celle-ci était juste mal payée et a fait une parfaite employée pendant plusieurs années. “D’autant que sur certains postes, notamment de direction, personne ne fait jamais l’unanimité. J’ai aussi eu le cas de bonnes prises de références où la recrue ne correspondait pas du tout au bout du compte”, affirme-t-elle.

Pour la CPO de Bloomays, la prise de références est donc à manier avec beaucoup de précaution, en restant au maximum factuel, d’autant qu’elle peut mettre en danger un candidat qui est encore en poste quand certains recruteurs ou managers contactent l’employeur actuel (malheureusement, ce type de pratique de cowboy existe vraiment !).

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Quid des “enquêtes” sur les réseaux sociaux ?

Outre la prise de références, il est possible de mener sa petite enquête sur un candidat en scrutant ses réseaux sociaux. “Légalement, si le profil est ouvert, rien n’empêche l’entreprise de le faire. De plus, la jurisprudence a donné raison à des employeurs qui avaient pu constater que leur salarié en arrêt maladie était en fait en vacances”, pointe Caroline Diard. Une pratique qui ne date pas d’hier, nous confirme-t-elle, se souvenant que l’on googlelisait déjà les candidats à la fin des années 90 dans le monde de l’IT. “On regardait notamment ce qu’ils postaient sur les forums”, observe-t-elle.

Puis il y a eu Copains d’avant, Facebook, Linkedin… De la même façon qu’un candidat se renseigne sur Glassdoor, un recruteur peut regarder les réseaux sociaux. Mais cela doit-il l’influencer ? “Dans l’idéal, il faut rester objectif bien sûr, mais quand on reçoit des candidatures très similaires, l’étude des réseaux sociaux peut permettre d’avoir certains indices sur le savoir-être, de se projeter sur un sport, une activité artistique, un investissement social... Le but n’est pas d’être malveillant, mais cela peut nourrir ensuite la discussion avec le candidat”, affirme Caroline Diard.

Pour autant, dans la vraie vie, Jessica Djeziri nous indique que peu de recruteurs ont le temps d’investiguer les réseaux sociaux des candidats. “À un moment, on avait un ATS, Workable, qui permettait de collecter tous les social medias attachés à un mail. C’était tentant de regarder mais honnêtement, avec le nombre de candidatures que l’on recevait, c’était difficilement gérable”, affirme-t-elle. Toutefois, elle admet avoir déjà consulté le Facebook ouvert d’un futur gestionnaire de paye. “Ce métier exige une grande confidentialité dans la gestion des données, alors c’est vrai que ce n’était pas très rassurant”, reconnaît-t-elle.

Finalement, si un recruteur regarde les réseaux sociaux d’un candidat, c’est que cela a de la pertinence par rapport au poste. Par exemple, un community manager qui saurait générer une forte communauté sur sa page perso gagnerait des points.

Plutôt que d’enquêter, musclez vos process !

Le message de Jessica Djeziri est donc clair : musclez au maximum vos process de recrutement plutôt que de vous fier à l’analyse des réseaux sociaux d’un candidat ou la prise de références. “Chaque étape du process doit être filtrante, s’il y a un doute, c’est qu’il n’y a pas de doute”, lance-t-elle.

De plus, si les “à côté” sont importants pour un poste (par exemple pratiquer un sport chez Decathlon ou être un as du bricolage pour Leroy Merlin), autant le signifier dès l’annonce. “Je crois d’ailleurs que les entreprises ne passent pas assez de temps à profiler le candidat dont elles ont vraiment besoin, et donc n’exposent pas suffisamment leurs attentes vis-à-vis du candidat qu’elles vont recruter”, poursuit-elle.

Elle recommande plutôt de se baser sur des grilles d’évaluation qui seront communes à toutes les personnes qui vont auditer le candidat. Des grilles qui sont de plus en plus présentes dans les ATS, notamment sous l’impulsion de l’IA. “Un bon recrutement ne doit pas être intuitif mais structuré, basé sur des critères objectifs et équitables, connus de tous”, ajoute la DRH. Pour ce faire, elle recommande de questionner en profondeur le candidat sur ses réalisations, et de le soumettre à des use cases, sans qu’ils ne soient non plus trop chronophages. “Bien sûr, malgré ces outils, un recrutement peut demeurer clivant, surtout à des postes clefs. Mais au moins, tout le monde est sûr d’évaluer la même chose”, conclut-elle.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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