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Test implicite Harvard : suffit-il d’avoir conscience de ses biais cognitifs pour les dompter ?

Biaisés ou pas biaisés ? Telle n’est pas la question. Oui, nous sommes absolument tous biaisés. Cela participe du fonctionnement naturel de notre cerveau. La vraie problématique est donc : comment – et peut-on seulement – neutraliser ces biais ?


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Il est un outil bien connu qui circule depuis plusieurs années : le fameux test Implicit élaboré par Harvard, et qui nous démontre à quel point nous souffrons tous de stéréotypes de genre. Mais les biais cognitifs sont loin de se cantonner à ces derniers. “Ces tests ne permettent pas d’évaluer l’ensemble des biais dont l’humain est constitué. Les biais cognitifs sont tout à fait naturels. Ils participent au fonctionnement normal de notre cerveau”, nous explique Mélany Payoux, Manager de l’innovation chez PerformanSe, et Docteure en psychologie cognitive.

Prendre 36 000 décisions par jour : c’est le job de notre cerveau

Chaque jour, nous prenons plus de 36 000 décisions, et, fort heureusement pour nous, une grande partie de celles-ci sont inconscientes. Ainsi, le cerveau collecte des informations en permanence, notamment au niveau de nos cinq sens, avant de les traiter via notre mémoire, attention, logique, imagerie mentale, ou encore notre compréhension et notre langage. “Parfois, le cerveau fait des erreurs en voulant aller vite ou parce qu’il y a surchauffe. Par exemple, cela peut donner lieu à des altérations de la vision qui sont, elles aussi, des biais”, poursuit la spécialiste.

Il s’agit ainsi de biais liés à des facteurs internes. Mais d’autres biais cognitifs sont intriqués à des facteurs externes comme notre éducation, nos apprentissages durant l’enfance, nos expériences (les fameux stéréotypes de genre par exemple).  Ces biais sont directement liés à la mémoire, et il est très difficile de s’en détacher.

💡 “Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé” - Albert Einstein

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"Un recruteur met 34 secondes en moyenne à lire un CV"

Parce qu’il est un raccourci mental, spontané et inconscient, le biais cognitif peut nous faire prendre de mauvaises décisions. On en dénombre 250 susceptibles d’influencer pour le meilleur et pour le pire nos prises de décision, y compris dans le monde du travail. Par exemple, dans le recrutement : “on sait qu’un recruteur met 34 secondes en moyenne à lire un CV. Son cerveau se fait une représentation très rapide de la personne”, souligne Mélany Payoux.

Là encore, pour le meilleur et pour le pire. Pour Marie-Sophie Zambeaux, Fondatrice de ReThink RH, ces biais vont donc avoir “un retentissement sur la qualité des recrutements, le choix des personnes promues, le choix des investissements financiers, l’efficacité des équipes, la conduite de projets, etc”.

Que faire pour éviter de tomber dans le panneau de notre cerveau ?

Il est certain qu’avoir conscience de ces biais est insuffisant, puisqu’ils sont naturellement ancrés en nous”, martèle Mélany Payoux. Et n’allez pas croire que suivre une formation à ce sujet vous prémunira de ces biais ! Sensibiliser est utile, mais insuffisant. Les sensibilisations adoptent presque toujours un angle individuel, alors que la discrimination est surtout un problème sociétal. De fait, elles négligent le rôle du contexte et détournent l’attention de la responsabilité des sociétés et des entreprises”, affirme Marie Sophie Zambeaux.

Elle estime d’ailleurs que se croire au-dessus de la mêlée parce qu’on a été sensibilisé revient à se bercer d’illusions. C’est le fameux biais de l’angle mort ou de la tâche aveugle. “Il s’agit tout simplement d’un biais qui nous pousse à croire que nous sommes moins sensibles que les autres aux biais cognitifs”, décrit-elle, citant cette étude qui s’interroge sur les bénéfices réels des formations contre les biais.

💡 Nous sommes aveugles aux évidences et inconscients de notre propre cécité” - Daniel Kahneman

Alors, pour lutter autant que faire se peut contre les biais, notre spécialiste RH prescrit avant tout de la méthode pour structurer notre processus de prise de décision. La manière de prendre la décision, le « comment » pèse six fois plus lourd que le contenu, le « quoi », avance le spécialiste Olivier Sibony, co-auteur de Noise, Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter ?.

Marie-Sophie Zambeaux liste donc une série de conseils pour tenter d’absorber au maximum ces biais :

  1. Se pencher sérieusement sur l’architecture de la décision avant même de débuter concrètement (timing, étapes, règles de fonctionnement, critères de décision définis en amont, constitution de l’équipe (habituelle ou ad hoc), mise en place d’une check-list …)
  2. Se forcer à penser contre soi-même ! Essayer de se faire l’avocat du diable. Par exemple, si l’on est convaincu d’un choix de recrutement, tenter de lister toutes les raisons pour lesquelles il ne faudrait pas recruter cette personne. Ce rôle d’avocat du diable peut aussi être distribué à une personne en particulier dans un groupe. “Le membre nommé aura ainsi pour mission de s’opposer délibérément à l’avis général et de challenger le consensus apparent en formulant un maximum de critiques et de contre-arguments”, illustre notre experte.
  3. Recourir au collectif, mais pas n’importe comment. On peut par exemple réaliser un pre-mortem, concept inventé par Gary Klein, psychologue pionnier de l’école naturaliste de la prise de décision. “Concrètement, il est demandé à l’équipe de se projeter dans le futur (fin de la période d’essai, un an plus tard) alors que le projet s’est soldé par un échec afin de procéder collectivement à l’autopsie de ce projet ainsi « décédé » en indiquant les raisons les plus plausibles ayant conduit à cet échec”, explique Marie-Sophie Zambeaux. Chaque membre de l’équipe est invité à écrire – si possible de manière anonyme – la ou les causes possibles de ce fiasco. Ces dernières sont alors passées en revue et une décision plus éclairée est prise.
  4. On peut aussi adopter la notion de "position basse" préconisée par L'École de Palo Alto. “Cet acte d’apparence anodine exige de demander au chef de parler en dernier. C’est un puissant levier pour libérer la parole et qui est facilement activable”, affirme Marie-Sophie Zambeaux.
  5. Recruter et constituer des équipes hétérogènes présentant une réelle diversité cognitive est indispensable pour contrer ce que Foucault appelle le "pouvoir normalisant" des entreprises. L’entreprise est, en effet, le plus souvent une machine à homogénéiser et à formater tant et si bien qu’elle se retrouve in fine constituée de clones cognitifs issus des mêmes écoles, disposant d’expériences similaires et pensant peu ou prou la même chose.

En somme, il ne suffit pas d’avoir conscience de ses biais cognitifs pour les contrecarrer. “La meilleure arme pour les dompter est réellement de rester humble et de cultiver son sens critique”, conclut Mélany Payoux.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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