Tribune – Jobsharing : avoir 2 managers, bonne ou mauvaise pratique ?
Si on vous proposait deux managers pour le prix d’un, est-ce que vous seriez plutôt emballé… ou plutôt inquiet ? Deux personnes pour un même taf, c’est le job sharing. Mais quand il s’agit de collaborer, comment cela se passe concrètement ? Deux managers, double impact ou double problème ? Léna Basile, DRH & Co-Fondatrice de WorkSharing, partage son expérience.
Et si, au lieu d’un seul manager, vous en aviez deux ? Le jobsharing, un modèle où deux personnes se partagent un même poste, fait doucement son chemin dans les entreprises. Flexibilité, collaboration accrue, partage des responsabilités… Le concept séduit. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’un poste de manager ? Est-ce vraiment une bonne idée d’avoir deux patrons ? Comment fonctionne ce mode de travail aussi bien pour les managers que pour leurs équipes ?
Le jobsharing est un modèle d’organisation du travail où deux salariés se partagent un seul poste. Ils travaillent souvent à temps partiel (60%-60%), mais peuvent être aussi à temps plein, et exercent en co-responsabilités. Contrairement au simple "partage de tâches", le jobsharing implique que ces deux personnes partagent l'intégralité des responsabilités d'un poste, y compris la gestion des équipes, les objectifs à atteindre, et le suivi des projets.
Deux managers pour une seule personne, ça ressemble à quoi ?
Imaginez maintenant deux managers qui partagent non seulement un poste, mais aussi la responsabilité d'une équipe. Un duo de managers qui co-construisent la vision stratégique, se coordonnent sur les décisions et gèrent ensemble les équipes. Ce modèle, bien qu'encore rare en France mais très répandu chez nos voisins Allemands ou Suisses, présente des avantages certains pour l’organisation, mais aussi quelques défis à relever.
"Lorsque nous avons mis en place le jobsharing en tant que managers, je craignais qu'il y ait un manque de clarté pour notre équipe. Pourtant, avec mon jobpartner, nous avons rapidement trouvé notre rythme. La clé ? La communication constante et la confiance”, explique Florence Pawlowski a vécu l’expérience du jobsharing version double management chez Beiersdorf, en Allemagne
Concrètement, que se passait-il entre eux ? “Nous nous complétions : j'étais plus opérationnelle et pragmatique et mon partenaire plus stratégique. Ensemble, nous avons pu offrir une vision plus complète à notre équipe et gérer des situations complexes à deux voix". Nos collaborateurs ont apprécié ce modèle, car ils avaient deux points de vue différents et pouvaient s'adresser à l'un ou l'autre en fonction de la situation", se souvient-elle.
Pour autant, le défi du double management résulte dans “l'alignement permanent”. “Nous devions être toujours sur la même longueur d'onde pour éviter la confusion. Cela demande beaucoup d’efforts, mais au final, c'était une expérience enrichissante pour nous deux, mais aussi pour l'entreprise."
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Les compétences clés pour réussir en duo
Pour que le jobsharing fonctionne, notamment en double management, certaines compétences sont indispensables :
- Communication ultra-fluide : la clé, c’est une communication ouverte et constante. Le duo doit aligner sa vision et partager chaque décision.
- Confiance mutuelle : il faut être capable de déléguer et de faire confiance à son jobpartner. C’est un travail d’équipe au plus haut niveau. Pas de place non plus à un égo surdimensionné !
- Organisation pointue : avec deux managers, l’organisation et la coordination deviennent essentielles pour ne pas créer de confusion auprès des équipes.
- Compétences en management partagé : cela demande une capacité à accepter que l’autre puisse faire les choses différemment, tout en restant dans le cadre fixé ensemble.
- Un mode de management similaire ou compatible : deux modes de management différents pourraient rendre "schizophrènes" les équipes managées
Les freins potentiels : les risques du double management
- Risque de duplication : avec deux managers, il est possible que certains sujets soient discutés deux fois ou pire, que les décisions se contredisent. Pour éviter cela, un alignement parfait sur les valeurs, la vision de leur métier et les objectifs à atteindre est indispensable.
- La question du "papa/maman" : et si l’un des managers était perçu comme le "sympa", et l’autre comme le "strict" ? Cela peut créer une dynamique de préférence qui met à mal la cohésion. Pour contrer cela, les managers doivent veiller à être alignés dans leurs décisions et leurs approches et surtout rester "unis" face à leurs équipes. Il est possible de ne pas être d'accord mais à eux d'en discuter en "off".
- Éviter la surcharge : le jobsharing est parfois perçu comme une "double charge" pour les équipes, qui pourraient se sentir surveillées de manière plus stricte par deux managers. Cela nécessite donc une grande transparence et des points réguliers pour rassurer les équipes. Ils peuvent également avoir le sentiment de devoir "prouver" leur valeur ou leurs compétences deux fois ! Là encore, une parfaite communication et transmission des informations est nécessaire au sein du duo.
Double management : bénéfique ou problématique ?
Que ce soit pour les managers, les collaborateurs ou l’entreprise, chacun peut y trouver son compte. A condition de respecter certaines règles.
Pour les managers en duo
- Un partage de charge mentale : deux managers peuvent se répartir les tâches, gérer les moments de forte pression ensemble et même se compléter en termes de compétences. Là où l’un excelle en stratégie, l’autre peut être plus à l’aise dans l’opérationnel, par exemple.
- Une meilleure prise de recul : avoir un partenaire permet de prendre du recul sur certaines décisions et de les discuter avant de les mettre en oeuvre.
- Équilibre vie pro / perso : le jobsharing permet une réelle flexibilité et un meilleur équilibre entre la vie personnelle et professionnelle.
Pour les collaborateurs managés
- Double expertise : avoir deux managers, c’est profiter de deux regards, deux parcours et donc deux approches managériales complémentaires. Cela peut créer une gestion plus riche et innovante.
- Un management plus réactif : en cas d’absence d’un manager, il y a toujours quelqu’un à qui s’adresser. Cela fluidifie les processus et évite les goulots d’étranglement.
- Plus de transparence : le duo managérial permet de structurer les échanges et d’offrir plus de transparence sur les décisions prises, car elles sont souvent débattues et enrichies à deux.
Pour l’entreprise
- Renforcer la collaboration : le modèle en jobsharing promeut une culture de la collaboration et de la co-construction, bénéfique pour toute l’organisation.
- Anticiper les absences : avec deux personnes sur un même poste, les absences pour congés, maladies ou autres événements sont mieux anticipées et gérées.
- Développer les compétences et les points de vue : une montée en compétence plus rapide pour chaque Jobpartner
- Validez votre vision du travail, de votre métier et de votre mode de management. La comptabilité entre les deux jobpartners est un prérequis non négociable. Le top est de pouvoir vérifier sa compatibilité à travers des tests de personnalités tels que Trimoji, DISC, Assessfirst pour comprendre les fonctionnements de chacun et mettre en place des règles de fonctionnement communes.
- Clarifiez vos modes de fonctionnement dès le début. Qui gère quoi ? Quel est le process de décision ? Comment on s'organise ? L’alignement est primordial pour ne pas perdre l’équipe.
- Utilisez des outils de suivi communs (Trello, Slack, Google Drive, Teams, One Note, adresse mail commune…). Le partage d’informations en temps réel évite les mauvaises surprises.
- Faites des points réguliers avec l’équipe : Assurez-vous que les collaborateurs soient aussi à l'aise avec l'un qu'avec l'autre. Restez alignés et soudés face à l'équipe.
- Pratiquez le feedback continu entre vous, en tant que managers. Ce mode de fonctionnement est encore peu commun, il faut donc s’ajuster en permanence. Un accompagnement externe est également nécessaire pour la mise en place du duo afin d'effectuer des ajustements réguliers.
Le double management en jobsharing peut être un vrai levier de performance si les duos sont bien structurés, alignés et en pleine confiance. Pour les équipes, c’est une opportunité de bénéficier d’un double soutien. Mais la réussite repose sur une communication ultra fluide et un équilibre constant. Bref, une bonne pratique… si elle est bien gérée et surtout bien accompagnée !