Peut-on faire confiance à l’IA pour filtrer les candidatures ?
Ah qu’elle est belle, l’intelligence artificielle (IA) ! Peu à peu, elle s’impose comme un outil incontournable dans le domaine du recrutement. Il faut dire que ses promesses sont alléchantes : gain de temps, réduction des biais, simplification des processus. Pourtant, nombreux sont les recruteurs qui hésitent encore à lui confier entièrement une tâche aussi cruciale que le tri des CV.
Dopés à l’intelligence artificielle, les systèmes de suivi des candidatures (ATS pour les fins connaisseurs) ont transformé les premières étapes du recrutement. Ils permettent de filtrer rapidement des centaines, voire des milliers de candidatures grâce à des algorithmes qui croisent les mots-clés d’un CV avec ceux d’une description de poste. Cependant, cette approche n’est pas sans soulever des interrogations comme nous l’expriment différents recruteurs.
Des candidats plus filous que les IA
Consultante en ressources humaines chez Engie, Danielle Celestino se montre plutôt méfiante quant à l’emploi de l’IA dans le triage des CV : "L’IA reste une machine, avec ses limites. Parfois, je tombe sur des CV qui contiennent des mots-clés invisibles, comme des hashtags en blanc. Ces candidats ne sont pas du tout alignés avec le poste, mais l’IA les fait remonter dans les résultats. Pour moi, c’est une perte de temps".
Cette pratique, appelée "white fonting", est de plus en plus répandue. Elle illustre un paradoxe : alors que l’IA est censée rationaliser le tri des candidatures… elle peut être dupée par des astuces techniques, obligeant les recruteurs à vérifier manuellement les profils sélectionnés. "Ces candidatures artificiellement optimisées font perdre du temps aux recruteurs et nuisent à l’expérience des candidats eux-mêmes. Obtenir un entretien grâce à un CV truqué ne mène souvent qu’à un échec lors des étapes suivantes. Un bon CV ouvre des portes, mais seules les compétences permettent de les franchir durablement", renchérit Marie-Sophie Zambeaux, Fondatrice de ReThink RH. Elle ajoute que les ATS modernes détectent de mieux en mieux ces pratiques, rendant ces stratégies inefficaces et contre-productives.
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Petit humain, on a encore besoin de toi !
L’une des principales critiques adressées à l’encontre de l’IA concerne son incapacité à évaluer les qualités humaines d’un candidat, également appelées soft skills. Ces compétences – comme la créativité, la communication, la résilience ou la gestion du stress – sont pourtant essentielles dans de nombreux métiers. Céline Douguet, Fondatrice d’Adity et recruteuse chevronnée, en témoigne : "L’IA ne peut pas détecter des éléments comme le fit culturel ou l’expérience humaine derrière un parcours. Par exemple, un candidat ayant travaillé dans la restauration rapide aura développé des qualités comme la résilience ou la gestion de la pression, des compétences que l’IA n’identifie pas forcément."
Cette lacune illustre l’importance du facteur humain dans le processus de recrutement. Comme le souligne Emilie Narcy, Directrice des Opérations chez Approach People Recruitment :"Notre valeur ajoutée en tant que recruteurs, c’est de lire un CV, de ressentir la personnalité d’un candidat à travers ses choix professionnels, et d’établir un contact humain. L’IA peut nous épauler dans certaines tâches, mais elle ne remplacera jamais ce lien." Quant à Laurent Girard-Claudon, fondateur d’Approach People Recruitment, il estime que “l’IA ne peut pas prendre de décision à la place de l’Humain, car elle ne réfléchit pas, mais s’appuie sur des statistiques et du volume de données emmagasinées”.
Personne ne veut une armée de clones
En cherchant à réduire les biais humains, l’IA pourrait paradoxalement accentuer un autre problème : l’uniformisation des candidatures. Marie-Sophie Zambeaux souligne que les CV générés ou optimisés par l’IA tendent à se ressembler, car ils répondent aux mêmes critères techniques : "Ces CV manquent souvent de personnalité. Ils répondent parfaitement aux exigences techniques, mais ils ne reflètent pas l’unicité des candidats."
Céline Douguet va plus loin en affirmant que l’IA peut faire passer les recruteurs à côté de profils atypiques : "Pour repérer un candidat qui sort du lot, il faut une sensibilité humaine. L’IA a tendance à privilégier les profils qui correspondent strictement à la description du poste, souvent conçue comme une liste au Père Noël. Or, ce sont souvent les candidats atypiques qui apportent une vraie valeur ajoutée à l’entreprise."
Elle cite en exemple les biais de genre dans les processus de recrutement : "Les femmes postulent moins souvent à des offres qui semblent trop ambitieuses, car elles s’auto-censurent. Une IA risque de renforcer ce biais en rejetant automatiquement des candidatures qui ne cochent pas toutes les cases."
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L’IA elle-même est soumis aux biais
C’est plutôt paradoxal, mais l’un des arguments les plus souvent avancés en faveur de l’IA est sa capacité à réduire les biais humains dans le recrutement. Cependant, les algorithmes eux-mêmes ne sont pas exempts de biais, car ils s’appuient sur des données historiques, souvent marquées par des discriminations systémiques. Marie-Sophie Zambeaux nuance ainsi : "Il est utopique de penser que l’IA peut fonctionner sans biais. En réalité, elle reflète les biais humains présents dans les données qu’elle utilise."
Céline Douguet insiste donc sur l’importance d’un équilibre entre technologie et intuition humaine : "Les biais ne sont pas toujours négatifs. Ils peuvent aussi aider à identifier des profils inattendus. L’objectif n’est pas de les éliminer totalement, mais de les gérer avec discernement."
L’IA n’a pas que défauts… loin de là
Malgré ces limites, l’IA apporte des bénéfices indéniables. Laurent Girard-Claudon souligne son rôle dans l’automatisation des tâches répétitives : "L’IA permet de gagner du temps pour les recruteurs, notamment dans le tri des volumes importants de candidatures. Elle est également utile pour rédiger des annonces percutantes ou générer des questions structurées pour les entretiens."
De même, Céline Douguet n’hésite pas à utiliser l’IA pour gérer de gros volumes de candidatures : “L'IA opère pour moi une présélection en faisant remonter en haut de la pile certains CV, sans pour autant exclure les autres. Elle me montre le pourcentage d’accointance entre le CV et l’offre. C’est une soft sélection”. Danielle Celestino propose elle-aussi un usage équilibré : "L’IA est idéale pour automatiser des tâches comme les réponses négatives ou la gestion des rendez-vous."
Une collaboration nécessaire entre humains et machines
Au-delà des critiques, la majorité des recruteurs s’accorde donc sur une conclusion commune : l’IA est un outil précieux, mais elle ne doit pas remplacer l’humain. "Recruter, c’est un métier profondément humain. L’IA doit être envisagée comme un assistant, pas comme un décideur. Elle peut nous aider à gérer le volume, mais c’est à nous de prendre les décisions finales", affirme Céline Douguet.
Marie-Sophie Zambeaux conclut quant à elle sur une vision optimiste : "Le recrutement de demain sera un travail conjoint entre la technologie et les recruteurs. Les outils basés sur l’IA continueront de progresser, mais ils ne remplaceront jamais l’expérience humaine."