Leur métier n’est pas télétravaillable : inconvénient ou choix assumé ?
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Si pour beaucoup, le télétravail a bouleversé le rapport à l’emploi en offrant plus de flexibilité, certains professionnels restent attachés — ou contraints — à une présence physique. Mais comment vivent-ils cette situation ? Est-ce un inconvénient ou un choix ? Regards croisés.
Mélissa, infirmière libérale : "J’ai la chance de pouvoir organiser mon emploi du temps"
"En tant qu’infirmière, le télétravail n’est pas quelque chose qui me concerne. Et personnellement, je ne ressens aucune frustration. J’ai la chance de pouvoir organiser mon emploi du temps comme je le souhaite, contrairement aux salariés qui pourraient se demander pourquoi ils doivent aller au bureau cinq jours par semaine, alors qu’ils pourraient travailler chez eux.
De mon côté, je travaille 14 jours par mois, soit une semaine sur deux du lundi au dimanche, souvent de 6h à 12h30, puis de nouveau le soir entre 18h et 20h. Cela fait des journées de six à huit heures, sans compter le temps consacré à l’administratif ou les appels à gérer. Bien sûr, ce n’est pas tous les jours facile de se lever à 5h du matin, de passer du temps dans les transports, puis de monter et descendre les escaliers. C’est une certitude, il faut être en forme !
"On ne peut pas mettre d’écran entre nous et la souffrance des patients"
En plus d’être physique, ce métier est psychiquement lourd. Il faut gérer non seulement les patients, mais aussi leurs familles, tout en composant avec sa propre charge mentale. On ne peut pas mettre d’écran entre nous et la souffrance des patients.
En ce moment, je prends soin de deux personnes atteintes d’un cancer en phase terminale : l’une est mère de quatre jeunes enfants, l’autre a 70 ans et avait encore de belles années devant lui. Ces situations sont éprouvantes. Pour tenir, il faut savoir se préserver, garder une distance professionnelle, ce qui n’est pas toujours facile. Parfois, on doit dire non, même si cela est mal perçu. Ce métier demande une grande force et une réelle capacité à s’organiser pour continuer à avancer."
Nina, dirigeante d’écurie : "Travailler avec du vivant, c’est toujours imprévisible"
"Les chevaux ont toujours été ma passion. Mais je me destinais d’abord à une carrière dans la communication. Cependant, j’ai très vite compris que je ne pourrais pas passer ma vie derrière un bureau. Quand j’ai commencé à travailler aux écuries, je me suis davantage sentie à ma place. Travailler avec des animaux, c’est à la fois stimulant et imprévisible : on peut essayer de planifier ses journées, mais rien ne se passe comme prévu.
Pendant le Covid, mes parents — qui travaillent en bureau — étaient à la maison. Moi, j’étais aux écuries : la surveillance des chevaux ne s’arrête jamais. Je n’ai pas vécu la pandémie comme eux. Certains de mes amis me disaient : “Super, on peut faire des choses à la maison pendant deux mois”, mais pour moi, c’était impossible.
"Je commence à ressentir mes limites physiques"
Bien sûr, être ma propre patronne me donne une certaine liberté sur mes horaires, mais je dois toujours rester joignable. À distance, je peux faire un peu de comptabilité, mais ce n’est qu’une petite partie de mon travail. Quand je pars en vacances, je dois payer quelqu’un pour garder les chevaux, ce qui a des conséquences financières. Et puis parfois, les propriétaires des chevaux n’aiment pas que quelqu’un d’autre s’en occupe.
Avec le temps, les accidents et l’âge, je ressens mes limites. Il y a toujours cette peur au fond de moi que tout ce que j’investis dans mon métier se termine subitement à cause d’une diminution physique. Il est vrai que parfois, j’envie les personnes qui peuvent télétravailler, parce qu’elles ont davantage de temps pour elles que si elles devaient se rendre au bureau. Toutefois, c’est comme ça, mon métier ne peut s’exercer autrement !"
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Pierrick, vendeur dans le retail : "Parfois, j’aimerais pouvoir télétravailler"
"Je travaille dans le commerce depuis 15 ans, et par choix. J’adore le contact avec les gens, qu’il s’agisse des clients ou de mes collègues. Il y a toujours du monde dans la boutique et je préfère de loin cela à devoir passer mes journées derrière un comptoir sans qu’il ne se passe quoi que ce soit.
Je suis au magasin du lundi midi au samedi soir, et j’ai mon mercredi off. Je ne peux jamais poser mon samedi, sauf si c’est pour un événement exceptionnel, comme le mariage d’une personne très proche. Pour la Direction, c’est une mesure d’équité afin qu’il n’y ait pas de jalousie entre collaborateurs. Pas question de créer des précédents !
"Le plus dur, c’est de ne pas pouvoir partir en week-end avec les autres"
Je travaille 39h par semaine et j’apprécie la pause du mercredi. Mais je dois reconnaître que le plus dur, c’est de ne pas pouvoir partir en week-end comme les autres. Parfois, j'aimerais télétravailler pour avoir des opportunités de week-ends ou séjours prolongés.
Je sais que pour les mamans qui travaillent avec moi, c’est aussi une frustration et une difficulté à gérer, surtout quand elles sont célibataires et doivent trouver des relais pour leurs enfants le samedi. C’est donc davantage cette contrainte que je trouve pesante plutôt que de devoir me rendre sur place pour travailler."
Camille, kinésithérapeute : "Nous sommes les guides du ressenti"
"La téléconsultation ? En tant que kiné, à part pour lire une ordonnance et réaliser l'anamnèse au départ, cela n’a aucun sens. Notre profession exige de tester les amplitudes articulaires, manipuler, masser… Ces gestes ne peuvent pas se faire à distance.
Pendant le Covid, on a parfois supervisé des patients en visioconférence pour leurs exercices, mais on ne peut pas les corriger efficacement sans les toucher. On aura beau dire à la personne comment se replacer, rien ne remplace les gestes. J’aime dire que nous sommes les guides du ressenti. Et puis, le corps ne se livre pas de la même façon lorsqu’il se laisse manipuler.
"Même en formation, c’est compliqué pour moi de rester assise"
Pour moi, rester derrière un écran est inconcevable : j’aime tellement bouger, j’ai bien trop d’énergie pour rester assise. Quand je suis en formation, c’est compliqué, j’ai rapidement les jambes qui fourmillent. Honnêtement, j’exploserais si je ne pouvais plus être en permanence en mouvement.
Bref, ce que j’aime dans mon métier, c’est accompagner les gens, leur montrer qu’ils sont acteurs de leur rééducation. Le contact physique donne tout son sens à mon travail."