“J’étais terrorisée” : Margaux raconte son expérience de l’ergophobie, la peur panique du travail
Crises d’angoisse quotidiennes, douleurs physiques, perte d’appétit, incapacité à se trouver dans les locaux de son entreprise…Pendant des mois, Margaux a expérimenté tous les symptômes de l’ergophobie : la peur panique du travail. Elle témoigne à notre micro.
Margaux a 32 ans et travaille en production et marketing digital. Si elle est aujourd’hui épanouie dans son métier, cela n’a pas toujours été le cas : une expérience professionnelle de plusieurs années a durablement affecté sa santé mentale et physique, au point de lui faire développer tous les symptômes de l’ergophobie, la phobie du travail. Elle a accepté de répondre à nos questions pour nous raconter sa descente aux enfers, puis son parcours vers la résilience.
Quelle place occupait le travail dans ta vie ? Quelle expérience professionnelle a fait basculer ton rapport au travail ?
Le travail a toujours eu dans ma vie une place importante. J’ai toujours beaucoup travaillé et j’aime ça. J’ai toujours eu plutôt confiance en mes capacités jusqu’au jour où j’ai été dans une entreprise où ça s’est très mal passé, où j’ai vécu plein de micro-agressions quotidiennes. On a commencé à me demander de faire des choses qui sortaient du cadre de ma fiche de poste, et donc que je ne savais pas faire. Et au lieu de me proposer une formation, ils ont commencé à me le reprocher beaucoup. J’ai fini par demander cette formation, mais il s’est passé plusieurs mois où on m’a dit que je n’étais pas une bonne employée.
Ils se sont ensuite mis à utiliser des photos de moi, que j’avais faites pour les réseaux sociaux de la marque, mais sans mon accord. Je leur ai dit que ce n’était pas légal, qu’on était sur une question de droit à l’image. Ils ont voulu me faire signer un avenant à mon contrat, une fois que c’était déjà fait, ce que j’ai refusé. Et puis il y a eu le confinement, ils m’ont mise en chômage partiel mais m’ont fait travailler tous les jours, en passant par ma boite mail personnelle pour éviter les problèmes. Je travaillais même parfois pendant mes vacances. À cela s’est ajouté du harcèlement sexuel de la part d’un des consultants de la boîte, sous couvert de blagues et d’humour. On allait arriver en réunion et, devant des prestataires, il disait : “elle n’a pas mis de short mais on va quand même essayer de l’écouter”.
Cette détérioration de ton bien-être s’est-elle intensifiée au fil des mois ?
Plus ça allait, plus j’ai commencé à me renfermer, à pleurer sans raison le matin, le soir, l’après-midi. Je travaillais toujours beaucoup, jusqu’au jour où je devais être augmentée, sauf qu’ils m’ont dit non en prétextant que je ne me donnais pas assez pour la boite. Là, j’ai craqué complètement. Je n’avais pas peur d’aller au boulot, mais c’était une fois que j’étais sur place que je me sentais vraiment terrorisée. J’allais aux toilettes toutes les 10 minutes pour pouvoir faire une pause, et après je commençais à faire des crises d’angoisse où je n’arrivais plus du tout à sortir des toilettes : je commençais à pleurer, à suffoquer…
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Je n’arrivais plus à être dans ces locaux où je ne me sentais plus à ma place parce que j’avais l’impression de déranger. Comme j’étais en CDI et que mon boss ne pouvait pas me licencier, j’ai senti qu’il allait me pousser à bout. Et en fait j’ai fait un burn out. Je ne l’ai pas vu venir, j’ai attendu, et ça m’a détruite. Le pire, c’est d’en venir à douter de soi-même : on se dit “peut-être que je suis trop faible, qu’ils ont raison, que je n’ai pas les capacités nécessaires pour réussir à faire ce travail”. On se pose des questions au quotidien et ça devient un stress permanent.
Peux-tu nous parler un peu des symptômes associés à ce mal-être ?
C’est vraiment une période où je ne dormais plus du tout, je prenais beaucoup de somnifères pour réussir à dormir. Mon travail a commencé à m’obséder du matin au soir, et je faisais beaucoup de crises d’angoisse. Les crises d’angoisse, c’est compliqué à expliquer tant qu’on ne l’a pas vécu, mais c’est ce moment où a l’impression qu’on va mourir : tu transpires, tu as le coeur qui s’accélère, t’arrives pas à respirer. J’avais aussi des énormes brûlures d’estomac : j’avais l’impression de me nécroser de l’intérieur, je n’arrivais plus à manger et j’avais très très mal. Je suis allée faire des examens et on m’a dit que c’était totalement psychologique, que j’étais en train de me rendre malade.
J’ai commencé à être en arrêt maladie pour ça, parce que j’avais physiquement mal, jusqu’au moment où je me suis rendue compte que c’était psychologique et où j’ai été arrêtée pour dépression et sous traitement pendant 5 mois. Quand je me suis fait soignée, on ne m’a pas parlé d’ergophobie à ce moment-là, on ne me l’a pas diagnostiquée, mais j’avais exactement tous les symptômes de l’ergophobie.
Est-ce qu’on peut se remettre d’une telle expérience professionnelle ? Quel a été ton chemin vers la résilience ?
C’est important de savoir qu’on peut se soigner. Ce n’est pas parce qu’on souffre d’ergophobie que ça va toujours être comme ça, on en revient. Le jour où j’ai eu le courage de quitter mon boulot, je me suis sentie délivrée, et j’ai pu reprendre ma vie normalement. Je n’ai pas voulu retourner tout de suite en CDI, parce que j’avais peur que ça se repasse mal. Ce qui est dur, c’est de se retirer de la tête que ça peut recommencer. J’avais peur qu’en retournant dans une entreprise, je me remette en danger.
Du coup j’ai créé ma micro-entreprise, je suis passée en freelance et j’ai commencé à travailler à mon compte. Ça m’a permis de me remettre dans le monde du travail progressivement, de construire mon portefeuille client, de démarcher à ma façon, de ne compter que sur moi parce que j’avais été un peu trop abîmée par mon boulot, et le cadre de l’entreprise de manière générale. J’avais envie à ce moment-là de ne compter que sur moi. Et aujourd’hui, je suis très bien dans mon boulot, dans ma vie, dans ma tête. Quand j’y repense, cette expérience a été très violente, mais aussi très formatrice et enrichissante.