Si les RH sont majoritairement des femmes, pourquoi la santé des femmes est-elle si peu visible en entreprise ?
Si vous croisez un RH, il y a de fortes chances que ce soit UNE RH. Un métier qui s’est largement féminisé ces dernières décennies. Pour autant, les sujets liés à la santé des femmes au travail peinent encore à émerger. Un paradoxe ?
Historiquement, la fonction de DRH était occupée par les hommes. Il faut remonter au début du XIXᵉ siècle pour retrouver son ancêtre dans les traits du directeur d’usine ou du contremaître. Par la suite, les financiers, centraliens ou ingénieurs se sont emparés du métier. Mais les années 90 marquent un tournant avec la création de filières entièrement dévolues aux ressources humaines dans les écoles de commerce et universités.
Cela aura pour effet de féminiser la fonction, les jeunes femmes étant attirées par l’aspect psycho, socio et organisationnel mis en avant dans les parcours (cliché mais vrai), quand bien même les aspects juridiques et financiers ont pris de plus en plus d’ampleur dans la profession les décennies suivantes.
Quand le masculin l’emporte (une fois de plus) sur le féminin
Toujours est-il qu’aujourd’hui, le métier est devenu majoritairement féminin, y compris au sommet de la pyramide (même si 75% des DRH du CAC 40 sont des hommes, CQFD). Alors, on pourrait imaginer légitimement que les sujets liés à la santé des femmes seraient plus présents aujourd’hui dans l’agenda des ressources humaines.
Pourtant, force est de constater que peu d’entreprises ont fait preuve d’innovation sur les thématiques qui touchent les femmes : le congé maternité, les parcours de PMA, l’endométriose, la ménopause… “Les femmes ont des besoins spécifiques pour leur santé – par exemple, dormir plus – mais tout comme les études scientifiques basent leurs normes sur les hommes, le monde de l’entreprise ne les prend pas en considération puisque le masculin est justement la norme”, regrette Marie Delattre, ex-RRH et influenceuse RH.
Outre leur santé physique, les femmes voient aussi leur santé mentale ébranlée par l’organisation du travail moderne. D’après le dernier baromètre réalisé par teale, acteur de la santé mentale en entreprise, 23% des femmes sont dans un état de santé mentale critique ou à risque, notamment de dépression, soit 8 points supplémentaires, par rapport aux hommes. “Pour autant, 60% des sondées estiment que le stress provient de leur vie personnelle, ce qui signifie que c’est la société toute entière qu’il faudrait changer. Il y a un vrai enjeu de santé mentale derrière, puisque 80% des personnes qui se déclarent motivées et productives estiment avoir un niveau de stress gérable au travail”, souligne Mélissa Bécot, HR Manager chez teale.
Et pour cause. Pensé par et pour les hommes, le monde du travail actuel repose sur des préceptes dépassés : le présupposé qu’un second travailleur (la femme, l’immense majorité du temps) est en capacité de gérer toutes les tâches gratuites du foyer. Le hic, c’est qu'aujourd'hui, ce second travailleur a aussi un job. Les conditions du deal sont donc totalement modifiées, pourtant, on a l’impression que l’on peut tout conjuguer… jusqu’à payer les pots cassés.
Des femmes DRH qui ne veulent pas être essentialisées
On aurait alors envie de se dire : puisque vous êtes aux manettes des RH mesdames, pourquoi ne pas inventer un nouveau monde professionnel qui respecterait la physiologie des femmes ? Un monde qui – par exemple – ferait enfin de la parentalité l’affaire de tous ? “Attention, l’idée n’est pas de culpabiliser les femmes DRH dont on sait qu’elles sont déjà en grande souffrance (plus de la moitié des professionnels du secteur veulent changer de métier). L’objectif serait plutôt de tendre vers un nouvel idéal positif pour toute la société”, alerte Marie Delattre.
L’heure n’est donc pas au règlement de comptes, mais plutôt à l’analyse des facteurs qui empêchent encore les femmes DRH de s’engager avec vigueur pour des sujets qui les touchent de plein fouet. Et bien, c'est précisément dans ce premier constat que le bât blesse. “En tant que femme DRH, on peut avoir l’impression de marcher sur des œufs. Les sujets spécifiquement féminins ne sont pas prioritaires pour les dirigeants masculins, alors il y a toujours ce risque pour une femme DRH d’être mal vue parce qu’elle “favoriserait” son propre camp en quelque sorte”, résume Mélissa Bécot. Être une bonne DRH, ce serait donc être la DRH de tous les employés, quand bien même le neutre est encore amplement teinté de masculin.
Plus globalement, c’est aussi le sujet de la place de la vulnérabilité en entreprise qui permet de compléter le puzzle. Quand on parle de santé féminine, celle-ci est presque toujours associée à une forme de fragilité et de faiblesse. “Or, les femmes sont encore en train de se battre pour se faire une place dans l’entreprise, alors elles n’ont pas envie d’être essentialisées ou réduites à leur condition féminine qu’elles ont dû gommer pour arriver à des postes stratégiques”, analyse Charlotte Fortuit-Klein, Conférencière et consultante en entreprise.
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Une sororité en dents de scie
Un point de vue entièrement partagé par Marie Delattre qui est également convaincue que les femmes sont encore obligées de revêtir les codes du masculin pour atteindre le sommet de l’entreprise. “Je me souviens de la première DRH qui m’a formée. Elle tapait du poing sur la table, était redoutée de tous, alors que dans la vraie vie, c’était une femme adorable. Mais elle avait de l’ambition alors, elle portait ce masque pour réussir. Et ça a fonctionné. Elle est devenue PDG par la suite”, relate-t-elle. En d’autres termes, cela signifie qu’une femme DRH qui prendrait à bras-le-corps les sujets liés à la santé féminine pourrait potentiellement se mettre en danger pour la suite de sa carrière ?
Et parce que les femmes ne sont pas non plus toutes des bisounours, il n’est pas rare qu’arrivées au sommet, elles ne désirent pas aider à leur tour leurs comparses. C’est un cas que l’une des coachées de Charlotte Fortuit-Klein a rencontré. “Elle était en parcours de PMA et avait besoin d’un aménagement d’horaires. Mais elle s’est confrontée à un mur avec sa DRH qui lui a dit avoir vécu un parcours semblable, mais y être arrivée en passant ses examens à 7H du matin sans en informer personne”, raconte-t-elle.
Des DRH au bord de la falaise… de verre
Alors, comment régler le problème ? Pour Marie Delattre, la réponse est globale et repose sur un changement de regard envers les femmes dans la société. Elle établit une corrélation entre la détestation des métiers RH et le fait qu’ils soient occupés par des femmes. “Pour moi, c’est le reflet d’une forme de misogynie de la société. Les femmes sont poussées vers ces fonctions car plus personne n’en veut en raison de leurs difficultés”, analyse-t-elle. C’est ce que l’on appelle la falaise de verre : lorsque les femmes sont promues à des postes dont on sait qu’ils sont pourtant intenables.
Elle en veut aussi pour preuve une récente prise à partie de 4 gourous de la Silicon Valley prédisant la disparition des RH dans les entreprises. Face à cela, Marie Delattre encourage les femmes DRH à se serrer encore plus les coudes et à faire preuve de sororité, notamment en se rencontrant lors d’événements non mixtes. “Je crois beaucoup en ce levier pour que les femmes aient un territoire d’expression dans lequel elles ne sont pas soumises aux codes masculins, et donc moins en concurrence les unes avec les autres”, affirme-t-elle. Un point qui peut soulever des questions au moment où l’inclusion se veut être un objectif global.
La santé des femmes doit-elle uniquement reposée sur les femmes ?
Pour Mélissa Bécot, le problème réside également dans l’impossibilité pour les RH d’agir en prévention. “Les DRH sont souvent obligées de réagir, elles travaillent en curatif, ce qui les empêche de prendre en main tous ces sujets liés à la santé des femmes”, analyse-t-elle. Ici, pas de secret : il faudrait donc davantage d’équipes RH en interne pour décharger les DRH de l’opérationnel, et surtout des budgets permettant de mettre en œuvre des actions de sensibilisation, a minima.
Un point de vue partagé par Charlotte Fortuit-Klein qui nous confie ne rencontrer que des DRH débordées : “Dès que l’on parle de santé mentale, d’inclusion, ce n’est jamais la priorité, me disent-elles”.
Enfin, il s’agit surtout d’engager les hommes sur ces sujets de santé féminine afin qu’ils remontent au sommet de la pile. “C’est en fait contre-productif de placer toutes les attentes sur les femmes DRH alors que justement, on ne reprocherait pas à un homme DRH de s’emparer de ces thèmes, au contraire”, souligne Charlotte Fortuit-Klein.
Une manière de faire sauter les tabous sur des sujets encore considérés comme honteux pour nombre de femmes. “Toutefois, je pense qu’il faut y aller pas-à-pas : commencer par de la sensibilisation et des sujets plus universels comme le congé maternité pour ensuite avoir des entreprises suffisamment matures pour ne pas affronter de levées de bouclier sur ces thématiques”, conclut-elle avec prudence… mais détermination !