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Pourquoi y a-t-il plus de burn-outs dans le sport aujourd’hui ?

C’est un fait avéré : d’après plusieurs grandes études scientifiques*, il existe une augmentation significative du nombre de burnouts dans le milieu sportif. Entre l’accélération du calendrier de compétition, la pression des sponsors, mais aussi des réseaux sociaux, la passion a-t-elle été sacrifiée sur l’autel de la financiarisation du sport ? Ou assiste-t-on simplement à une libération de la parole ?


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Michael Phelps, Mark Cavendish, Simone Biles, Naomi Osaka… on ne dénombre plus le nombre de grands sportifs faisant état de leurs démons intérieurs.

Il y a quelques jours, c’était au tour du joueur de tennis Casper Ruud de faire état de sa traversée du désert : “Je ne veux pas trop m’étendre sur le sujet, mais la vérité, c’est que j’ai traversé des problèmes de santé mentale cette année. J’ai donc consulté un professionnel et cela m’a beaucoup aidé. J’ai rapidement constaté une nette amélioration. Je me sentais comme un hamster dans sa roue, avançant sans cesse. Le calendrier actuel m’empêche de m’arrêter ; j’avais besoin de sortir de cette spirale et de réfléchir à ma vie, à mes sentiments et au chemin que j’avais emprunté. Je suis de retour dans la roue du hamster que le circuit nous impose, mais avec un bien meilleur état d’esprit. Le tennis est bien plus complexe que de bien frapper la balle”.  

Une remise en question visiblement salutaire puisque le tennisman a par la suite remporté le Master 1000 de Madrid.

“À la logique du jeu s’est substituée celle du calcul”

Pour Fabrice Gatti, chercheur et consultant en organisation et en sport de haut niveau, le témoignage de Casper Ruud est extrêmement significatif de la crise systémique qui sévit dans presque toutes les disciplines aujourd’hui. Le point de départ de cette dérive ? La financiarisation du sport, impulsée dès les années 80 par la philosophie néo-libérale, qui a préempté absolument tous les secteurs. Le football a apporté une bonne illustration de ce phénomène avec l’arrivée des industriels tels que Silvio Berlusconi (Milan AC) ou encore Bernard Tapis (OM) à la présidence des clubs.

Ainsi, “à la logique du jeu s’est substituée celle du calcul dans laquelle le sportif devient un objet de rendement, regrette-t-il. Au beau milieu de ce manège médiatique, les sponsors tiennent aujourd’hui les manettes, payant de plus en plus cher pour avoir accès aux athlètes. Le revers de la médaille ? Une accélération nette du calendrier des compétitions, avec notamment la création de matchs d’exhibition ou encore de nouveaux tournois, comme la Coupe du monde des clubs dans le football, ou encore le passage de 16 Grands prix à 24 dans le monde de la Formule 1, ce qui est parfaitement insoutenable”, pointe Fabrice Gatti.

Des joueurs déracinés

Dans le monde du tennis, les joueurs sont désormais en compétition 11 mois sur 12. Et pour ceux qui ne parviennent pas à pénétrer le top 50, c’est la double peine : impossibilité de se déplacer avec leur préparateur ou coach, éloignement familial constant… “Si un Novak Djokovic peut se permettre de ne pas participer à tous les matchs et d’amener avec lui son épouse, ce n’est pas le cas de tout le monde. Ce système crée de plus en plus d’inégalités dans le sport”, explique Fabrice Gatti.

Pour Laurent Lairy, Président du Stade lavallois Mayenne Football Club, également actionnaire dans le milieu du golf, la question du déracinement est effectivement centrale.  “Pour performer, les sportifs ont besoin d’un accompagnement millimétré de leur staff et de leur famille. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, quand nous intégrons un joueur dans le club, nous gérons aussi l’accueil de sa famille avec des places en crèche, ou une aide pour leur partenaire qui doit trouver un job, etc”.

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Une motivation érodée

En acceptant – sous la contrainte – de participer aux tournois alternatifs, de plus en plus de joueurs perdent la flamme, à l’image de l’ex n°1 mondial de golf John Rahm, aujourd’hui 77ème mondial de la ranking list du PGA Tour. “Il a accepté un contrat de plus de 500 millions d’euros pour jouer sur le circuit alternatif LIV golf, financé par le Fonds d'investissement public d'Arabie saoudite. Aujourd’hui, il a complètement perdu sa joie de putter”, regrette Fabrice Gatti.

Le problème dans tout ça, c’est que ce contexte crée une motivation contrôlée, extrinsèque (non durable), c’est-à-dire dans laquelle on ne joue pas pour le plaisir de l’activité mais pour la pression du résultat ou pour une récompense. De plus, les joueurs ne disposent plus de l’un des piliers fondamentaux de la motivation intrinsèque (durable), à savoir le sentiment d’autonomie, puisqu’ils ne peuvent plus choisir leurs compétitions, et se retrouvent  – cerise sur le gâteau – contraints à répondre à une foultitude de sollicitations médiatiques. “Les sportifs sont comme aliénés et en perte de sens par rapport à ce qu’ils font”, ajoute-t-il.

Un profond sentiment de solitude

Au final, la financiarisation du sport a un impact considérable sur la santé mentale, physique, et donc les performances des sportifs. De plus en plus se blessent comme en témoigne l’absence de 8 ou 9 joueurs clefs lors du dernier Master 1000 de tennis. “Avec cette accélération et la pression des réseaux sociaux – je pense par exemple à une joueuse comme Caroline Garcia qui a été très critiquée – le sport de haut niveau place les joueurs en situation d’hyper tension permanente, et il n’est donc pas étonnant qu’ils craquent”, souligne Laurent Lairy.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a mis en place des sessions collectives de prévention en santé mentale pour tous ses joueurs, préférant ne pas attendre le point de rupture. “Je suis aussi très attentif à tout ce qui se dit dans le vestiaire, y compris à mes propres propos”, ajoute-t-il.

Il y a peu, dans une interview accordée à GQ Magazine, Paul Pogba s’est lui aussi exprimé sur la sombre période qu’il a traversée lors de son second passage à Manchester United, ce qui est plus rare dans le monde du football : "Je ne comprenais pas. J'étais un joueur avec un rôle important dans l'équipe, et soudainement, je me suis retrouvé sur le banc. Je ne pouvais pas parler, il n'y avait pas de communication. Je n'étais pas heureux, et un joueur de football qui n'est pas heureux ne peut pas bien jouer. J'ai sombré dans la dépression sans même m'en rendre compte. Parce que personne ne nous enseigne ce qu'est la dépression. Jusqu'à ce que je commence à avoir des trous dans le cuir chevelu. Je ne comprenais pas ce que c'était. Ils m'ont dit que c'était le stress."

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Vers une meilleure prise en compte de la santé mentale ?

Ne nous leurrons pas : la financiarisation du sport bat toujours son plein. On se souviendra par exemple du geste ô combien élégant de Nike qui avait rompu le contrat d’Allyson Felix lorsqu’elle était tombée enceinte. Depuis, la marque a fait son mea culpa et interdit de telles ruptures. Peut-être grâce aux prises de positions courageuses de certaines têtes d’affiche.

On ne peut effectivement que saluer la libération de la parole dans le sport, comme lorsque Simone Biles évoquait son courageux retrait des JO de Tokyo. "Je dois faire ce qui est bon pour moi et me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être. Nous sommes aussi humains, nous devons protéger notre esprit et notre corps, plutôt que de faire ce que le monde attend de nous", expliquait-elle.

Alcaraz le nouvel exemple ?

Depuis, beaucoup d’autres sportifs lui ont emboîté le pas. On peut par exemple souligner la prise de position de Carlos Alcaraz dans la série documentaire My Way dans laquelle il explique comment il souhaite devenir l’un des plus grands joueurs de tennis de tous les temps, mais en le faisant “à sa façon”, c’est-à-dire sans sacrifier le plaisir de la vie. “Alcaraz est pour moi une vraie émanation de la jeune génération, mais au-delà du milieu du sport. Plus personne n’aspire à n’avoir qu’une seule carrière dans sa vie. Comme tous les jeunes de son âge, il souhaite multiplier les expériences”, analyse Laurent Lairy.

Un autre bon exemple est celui de Léon Marchand. Qu’importent les critiques, il est parti s’entraîner aux États-Unis et s’est fait sanctionner pour ne pas avoir participé à certaines échéances mondiales. “Un sportif a besoin de moments de repos et d’intensité. Léon Marchand a cette capacité à vivre apaisé avec le monde. Il se fixe des objectifs et s’y tient, en se détachant du regard de l’autre”, observe Fabrice Gatti. L'efficacité de sa méthode ? Ses résultats aux derniers JO parlent d’eux-mêmes.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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