Après le congé menstruel, place au congé gynécologique ?
À Strasbourg, les 3000 agentes de la Ville et l’Eurométropole devraient disposer de 13 jours de congé gynécologique dès la rentrée de septembre. L’objectif ? Aller au-delà du congé menstruel en englobant toutes les douleurs causées par la ménopause et l’ensemble des problèmes gynécologiques. Alors, bonne ou fausse bonne idée ?
Aborder les problématiques liées à la santé des femmes, et plus particulièrement celles relatives à leur appareil reproducteur, crée un malaise encore perceptible. D’ailleurs, rares sont les personnes à prendre ouvertement position en faveur de ce type de dispositif, y compris ceux-là mêmes qui défendent la cause féminine, et peuvent y voir une mesure contre-productive.
Preuve de ce désaveu du sujet, le Sénat et l'Assemblée nationale ont récemment écarté la proposition de loi visant à instaurer deux jours de congé menstruel. Qu’à cela ne tienne, certaines entreprises ont déjà pris les devants en l’instaurant sans que cela ne soit une obligation légale. Dans l’Europole de Strasbourg, les responsables politiques vont même plus loin en proposant 13 jours de congé gynécologique par an à toutes les agentes qui en auraient besoin. Outre les syndromes prémenstruels, la ménopause, l’endométriose et bien d’autres pathologies sont donc incluses.
Si ce texte est adopté, les agentes de la métropole auront la possibilité, après discussion avec leur hiérarchie, "de pouvoir bénéficier d'une amélioration du poste de travail, d'une adaptation des horaires de travail, avoir plus de télétravail", indique le premier adjoint à la maire de Strasbourg dans une interview à France 3. Et, si tout cela n'était pas suffisant, il y aurait la possibilité de recourir à un congé de santé gynécologique, sur production d'un certificat médical émis par un/une gynécologue ou un/une sage-femme. Certificat qui devra être confirmé par la médecine du travail. Dans ce cas, il sera valable pendant deux ans et permettra aux femmes "de pouvoir disposer de 13 jours à l'année, sur un compteur dédié pour ce congé, avec la possibilité de cumuler au maximum trois jours de suite." Il n'y aurait pas de jour de carence et donc pas de perte de salaire.
Un risque de pénalisation des femmes ?
Selon Marie Delattre, influenceuse RH particulièrement engagée pour la cause des femmes, il ne faut pourtant pas avoir peur d’un tel congé. “S’il nous choque, c’est parce que nous vivons dans un monde professionnel qui n’est absolument pas adapté à la physiologie des femmes”, regrette-t-elle. Et d'ajouter : “on nous demande d’être efficaces de la même façon chaque jour de l’année, alors que pour la plupart d’entre nous, il y a une vraie perte de productivité à certains moments de notre cycle ou de notre vie de femme. Malheureusement, en tant que salariée, on ne dispose pas de suffisamment de flexibilité pour pouvoir adapter notre travail et rattraper à d’autres périodes si nécessaire”.
Pour autant, d’autres commentateurs expriment un point de vue différent bien qu’ils soutiennent aussi la cause féminine. “En soi, c’est une mesure que l’on ne peut que saluer, mais je pense que les femmes qui prendraient ce congé auraient toujours besoin de se justifier, parce que les mentalités ne sont pas encore prêtes. Et puis, si ce congé devenait obligatoire, j’aurais peur que cela constitue un argument supplémentaire pour ne pas embaucher une femme”, avance Charlotte Fortuit-Klein, coach et conférencière spécialisée en santé mentale.
Même son de cloche du côté d’Emmanuelle Gautier, cofondatrice de Gynger, une appli au service de la santé des femmes en entreprise. Très engagée sur le sujet, elle plébiscite elle aussi l’initiative, mais se montre réservée quant à ses conséquences. “Bien sûr, cela va dans le bon sens, mais je crois que la mesure est encore trop radicale quand on voit le niveau de sensibilisation sur le sujet de la santé des femmes au global. Je pense donc qu’il y a des étapes à franchir avant pour y parvenir afin que les femmes soient pleinement à l’aise dans son utilisation”, affirme-t-elle.
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Le problème de la systématisation
D’un point de vue légal, il n’y a en soi pas d’obstacle à la création d’un tel dispositif. “La Cour de Cassation a déjà admis que l’on pouvait adapter certains postes à l’état de santé d’un salarié”, affirme Christophe Béheulière, avocat associé chez Clevery Avocats – expert en droit social et de la protection sociale. Pour autant, l’expert s’interroge lui aussi sur les fondations de ce dispositif. “L’argument mis en avant ici est la récurrence des douleurs. Mais dans ce cas, quid de pathologies comme la fibromyalgie par exemple ?”, s’interroge-t-il. Pour lui, une adaptation de poste en raison d’une affection de longue durée doit transiter par la médecine du travail et non pas procéder d’un congé universel pour toutes les femmes dont certaines ne souffrent pas de ces douleurs menstruelles ou gynécologiques.
De plus, il compare ce dispositif à celui de la contribution Delalande, une taxe qui visait à dissuader les entreprises de licencier des travailleurs de plus de 50 ans, mais a eu l’effet inverse avec le licenciement d’employés qui arrivaient à la barre fatidique des 50 ans. Si ce type de mesure venait à devenir universelle, l’avocat craint également une fragmentation entre les PME et les grands groupes pour qui 13 jours de productivité en moins par an n’aurait pas les mêmes conséquences, avec le risque encore une fois de desservir les femmes à l’embauche.
La flexibilité, la vraie bonne solution ?
Si l’on devait synthétiser l’avis de nos interviewés, il est donc très clair que les douleurs menstruelles ou gynécologiques pénalisent grandement une partie des femmes au travail, et qu’il convient de mieux les prendre en considération. Pour l’heure, rares sont les femmes qui osent demander une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) pour adapter leur poste de travail, et ce, par peur d’être stigmatisées (mais aussi car il s’agit de dossiers extrêmement fastidieux).
Toutefois, pour que ce type de mesure puisse passer sans friction, il est essentiel de renforcer au préalable la sensibilisation des entreprises sur ces sujets. “Les entreprises qui sont authentiques dans leur démarche sur ce sujet sont encore peu nombreuses. En commençant par faire des conférences sur ce sujet, on ouvre peu à peu le dialogue en interne”, recommande Emmanuelle Gautier. Elle plaide aussi pour l’instauration de mesures intermédiaires comme proposer des check-up de santé spécifiques aux femmes à travers des partenariats avec des structures spécialisées.
Enfin, la mise en lumière actuelle de l’endométriose doit aussi profiter à d’autres pathologies moins connues et non moins répandues comme le syndrome des ovaires polykistiques (SOPK) ou encore les fibromes, sans oublier l’impact conséquent des problématiques de fertilité et de PMA sur la vie professionnelle des femmes.