En soirée, je cache ma profession pour éviter les réactions négatives
Avez-vous déjà ressenti le besoin de mentir en soirée ? Pas sur votre âge, ni votre statut marital… mais bel et bien sur votre job ? Eux le font. Rencontre avec un ingénieur, un policier, une psy… et plus encore.
Mentir sur son métier est un acte plus répandu qu'on ne le croit, souvent mû par des raisons bien plus profondes que le simple désir de s'inventer une nouvelle identité le temps d'une soirée. Pour échapper aux questions insistantes, aux sollicitations répétées, ou pour s'intégrer harmonieusement dans un groupe sans risquer de réveiller les préjugés, certains choisissent de dissimuler leur véritable profession. Cette petite imposture devient alors un refuge, un moyen subtil de préserver une certaine sérénité et de savourer l'instant présent sans avoir à justifier sa vie professionnelle.
"Il est souvent difficile de se défaire de l'étiquette qu'on nous colle"
Julien, ingénieur informatique, 32 ans
Quand on me demande ce que je fais dans la vie, j’ai pris l’habitude de dire que je travaille “dans l'informatique”, sans entrer dans les détails. Ce n'est pas tout à fait un mensonge : mon poste relève effectivement du domaine du “support informatique”, même si je me consacre à une technologie extrêmement spécialisée à un niveau technique très avancé.
Pourquoi je préfère éluder la question ? Dès qu'une personne réalise que je travaille “dans l’informatique”, elle a tendance à me demander des conseils ou des diagnostics, et la nouvelle se répand assez rapidement. Les soirées prennent alors une tournure beaucoup moins amusante. Je dois alors expliquer, encore et encore, que mon travail n'a rien à voir avec la réparation d'imprimantes ou le dépannage de claviers. Rien n’y fait, malgré mes efforts pour clarifier la nature de mes responsabilités, je finis toujours par être catalogué comme le “technicien informatique de service”.
Pour les personnes plus âgées qui ne connaissent pas toutes les subtilités de mon travail et pour qui l’informatique reste encore assez flou, c’est pire. Pour vous donner un exemple, cet été, je venais à peine d’arriver dans mon village natal, que mon oncle m'a demandé de réparer une imprimante et de régler une antenne télé. Ce n’est pas nouveau et ça ne se limite malheureusement pas au travail, mais dans la vie, il est souvent difficile de se défaire de l'étiquette qu'on nous colle.
"J’espérais contribuer à lever le tabou qui entoure ma profession"
Pauline, conseillère funéraire, 38 ans
Après une carrière d’assistante de direction, j'ai récemment entrepris une reconversion professionnelle pour devenir conseillère funéraire, et je prépare actuellement le diplôme national que je passerai début 2025. En parallèle, j'exerce déjà comme maîtresse de cérémonie pour une agence qui gère la maison funéraire attenante.
Au début de ma formation, j’avais à cœur de parler de ma nouvelle voie professionnelle, espérant ainsi contribuer à lever le tabou qui l'entoure. Mais face aux remarques négatives et aux regards empreints de jugement, j'ai fini par ne plus en parler qu'à mes proches. On m'a déjà lancé des réflexions du genre : “Ah, mais tu touches des cadavres tous les jours, c’est dégueulasse. T’es vraiment bizarre” ou encore, “ça ne te fait pas de la peine ? T’as pas de cœur, en fait, t’as juste pas de sentiments”. Depuis, lorsqu’on me demande ce que je fais dans la vie, je suis secrétaire. C'est regrettable, car les métiers du funéraire, quand ils sont bien fait, sont non seulement importants, mais aussi très beaux.
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"J’ai l’impression d’être un ovni"
Thierry, maçon, 44 ans
Les années passant, mentir sur mon métier est devenu une habitude. Lorsqu'on me demande ce que je fais, je me contente de dire que je travaille dans le BTP, sans jamais entrer dans les détails. Dans un monde de plus en plus numérique où la plupart des salariés passent désormais leurs journées derrière des écrans d’ordinateur, j’ai l’impression d’être un ovni. Et faire quelque chose de ses mains ne laisse personne indifférent.
En soirée, j’ai appris à reconnaître deux types de personnes : ceux qui, super bricoleurs, ne manquent jamais une occasion d'étaler leur science, et ceux qui me sollicitent sans cesse pour des conseils sur leurs projets de rénovation. Quand je rencontre des personnes qui cherchent un ouvrier pour leurs travaux, j'aime bien m'amuser. Je leur raconte que j'ai déjà travaillé complètement ivre, que les accidents de chantier sont monnaie courante, et je finis par les renvoyer vers des tutoriels.
L’avantage avec tous les clichés que la société véhicule, les gens ont souvent une image bourrue des ouvriers du bâtiment et j'en profite. Mais je vous rassure, il m'arrive aussi de croiser des personnes sympathiques avec qui j'échange volontiers. Après, quand la conversation dérive trop sur mon travail, je leur dis qu’entre professionnels du même métier, on ne s'étend pas trop sur le sujet. Cela met généralement fin à la discussion et on passe à autre chose.
"Je préfère garder le silence, surtout après une journée éprouvante au travail"
Thomas, policier, 28 ans
Je ne vous apprends rien quand je dis qu’être policier suscite bien des réactions et que c’est aussi un métier autour duquel gravitent de nombreux préjugés. Je préfère donc garder le silence sur ma profession, surtout après une journée particulièrement éprouvante. Je me souviens d'une soirée en particulier où je m’étais un peu forcé à sortir après une série d'interventions difficiles qui m'avaient profondément affecté, pensant que ça me changerait les idées.
Dès mon arrivée, des gens m'ont demandé ce que je faisais dans la vie. Comme je n’avais pas la tête à ça, j'ai d'abord refusé de répondre. Mais face à leur insistance, j'ai fini par leur dire que j'étais agent de sécurité. Plus tard dans la soirée, j'ai appris qu'un ami avait évoqué mon véritable métier dans une anecdote. Ceux à qui j'avais parlé plus tôt ont alors compris que j'avais menti, mais cela ne les a pas empêchés de m'assaillir de questions : “C'est quoi le pire truc que tu as vu ?”, “Raconte-nous tes interventions”… Autant dire que je n'ai pas tardé à prendre la porte. Et en quittant les lieux, je me suis juré de ne jamais remettre les pieds dans ce guet-apens.
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"Je cherche encore où sont les fameux avantages"
Théo, 36 ans, aiguilleur à la SNCF
Mentir est un terme un peu fort, mais disons que je préfère éviter de mentionner que je travaille à la SNCF pour ne pas avoir à subir les remarques habituelles sur les grèves. Surtout qu’en plus de quatre ans de service, je n'ai jamais fait grève, même lors des manifestations contre la réforme des retraites. Bien sûr, je reconnais que certains de mes collègues en abusent parfois, mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Ce que je trouve encore plus agaçant, ce sont les accusations selon lesquelles nous serions des parasites surpayés avec des avantages à n'en plus finir.
Comme j’ai été recruté après la suppression du statut de cheminot, le seul “avantage” que j'ai, c'est le train gratuit, et encore, je l’utilise quatre fois par an pour un montant maximum de 300 euros, imposé comme un avantage en nature. Je dispose de vingt-huit jours de congés, je travaille en horaires décalés, couvrant les trois-huit pour un salaire d'environ 1800 euros par mois, et je suis de service trois week-ends sur cinq. Enfin, cette année, je travaille à Noël et au Nouvel An, alors je cherche encore où sont les fameux avantages...
Tout ça pour dire que quand tu t’es levé à 3h du mat pour travailler, lorsque tu arrives en soirée, tu évites d’entrer dans des débats et tu trouves un moyen malin d’esquiver les questions. Ce que je fais souvent, évoquer les souvenirs des dernières vacances, en espérant tout de même qu’ils n’aient pas eu de problème de transports.
"Ça évite les commentaires à côté de la plaque"
Adrien, manipulateur radio, 27 ans
C'est surtout parce que personne ne connaît vraiment mon métier que j'évite d'en parler. Les rares fois où j'ai réussi à expliquer ce que je faisais, on réduisait souvent mon travail à des phrases du genre : “Ah, c’est toi le mec qui appuie sur le bouton et dit 'gonflez les poumons', c’est ça ?” ou alors, “Je peux avoir ton numéro ? Ma tante a besoin d’une IRM rapidement.”
Face à ces réactions, j'ai fini par simplifier les choses. Quand je suis en soirée, je dis que je travaille dans le paramédical ou que je suis infirmier. Même si c’est assez frustrant, disons que ça a le mérite d’éviter les commentaires à côté de la plaque.
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"J’analyse personne quand j’ai deux pintes dans le nez"
Gabrielle, 31 ans, psychologue
En date, je ne mens pas sur mon travail, même si j’ai remarqué que le fait d’être psychologue mettait souvent les hommes mal à l’aise. Est-ce qu’ils ont peur que je décèle chez eux des travers ? Que j’anticipe ce qu’il va se passer entre nous ? Peu importe. Après en soirée, quand je ne sors pas avec mon groupe d’amis avec qui j’ai fait médecine, je préfère dire que je suis scientifique sans en dire plus.
Les clichés sur mon métier sont assez insupportables : j’analyse personne quand j’ai deux pintes dans le nez. Et je n’ai pas non plus envie qu’une personne que j’ai rencontrée il y a trente minutes dans la queue des toilettes me raconte toute sa vie, surtout quand l’histoire personnelle est assez lourde.
Après, quand je sors, j’adore observer les groupes. Exercer une profession, c’est appartenir à un groupe social, surtout à Paris où je vis. Tu as des groupes de personnes qui bossent dans la tech, tu en as d’autres où tout le monde est dans l’image (réalisateur, photographe, graphiste…) et j’ai remarqué que ça ne se mélangeait pas trop. Peut-être que si j’étais expert-comptable ou juriste dans une bande de branchés qui travaillent dans la musique, je mentirai pour me faire mieux accepter.
Et pourtant, je trouve dommage qu’on se limite au seul groupe de métiers pour faire partie d’un tout. Je pense que nos interactions sociales seraient bien plus intéressantes si on ouvrait un peu nos horizons. Mais c’est la même chose dans les relations sentimentales, s'il y a bien sûr quelques exceptions, on sera naturellement plus attiré par une personne qui nous ressemble et qui a eu une éducation similaire à la nôtre. Reproduction sociale quand tu nous tiens !